Pour un discours équilibré sur les migrants au Nord et au Sud de la Méditerranée

février 13, 2017 • Articles récents, Derniers articles, Ethique et Qualité, Journalisme spécialisé, Media et Politique, Media et Politique • by

La couverture de cette étude

Plus de million de personnes de la Méditerranée ont immigré en 2015 vers l’Europe. Inévitablement, les médias des rives nord et sud de la méditerranée, ont été confrontés à la couverture de cette tragédie selon les normes professionnelles et déontologiques du journalisme.

Bien que le nombre de ces immigrés ait baissé en 2016, selon Frontex, l’agence européenne des frontières, pas moins de 5 milles personnes ont péri noyées au cours de la périlleuse traversée de la Méditerranée. Plus encore, certains pays de l’Afrique du Nord, anciennement considérés comme des pays de transit pour les immigrés de l’Afrique subsaharienne et du Moyen-Orient, sont devenus des pays d’accueil sans que ce flux d’immigration soit contrôlé ou couvert.

Les premiers résultats d’une étude intitulée « How do media on both sides of the Mediterranean report on migration ? » (Comment les médias des deux rives de la Méditerranée ont couvert les migrations ? ) viennent d’être publiés. Cette étude, financée par l’Union Européenne (UE) et mis en œuvre par le Centre International pour le Développement de la Politique de Migration (ICMPD), a été menée entre novembre 2016 et janvier 2017.

Les pays dont sont issus les médias traités dans cette étude

Elle met l’accent sur la manière avec laquelle le sujet de la migration a été abordé par des médias dans 17 pays  des deux côtés de la Méditerranée (Allemagne, Autriche, Espagne, France, Grèce, Hongrie, Italie, Malte, Suède, d’une part et, d’autre part, Algérie, Égypte, Israël, Jordanie, Liban, Maroc, Palestine et Tunisie). Elle présente la manière avec laquelle les journalistes réagissent au drame des migrants. Se basant ainsi sur des réflexions des experts en journalisme dans différents médias, les auteurs ont examiné la qualité de la couverture médiatique sur le plan national en citant d’une part, quelques travaux journalistiques de qualité, qui relatent des actions humanitaires et d’autre part, quelques travaux qui ont adopté un discours de la haine.

D’après les premiers résultats, la couverture médiatique est essentielle pour mobiliser l’opinion publique autour de la crise migratoire et  mettre le public au courant de la situation critique des réfugiés, sauf que certaines lacunes ont été enregistrées par les auteurs.

Les lacunes de la couverture médiatique

En effet, le contexte politique a un impact majeur sur le discours médiatique relatif à l’immigration, ce qui se traduit notamment par la pratique courante de l’autocensure dans les salles de rédaction.

Par ailleurs, l’étude révèle que la couverture médiatique de la migration est assez souvent superficielle et simpliste en absence de la documentation et des ressources nécessaires. Les journalistes sont mal informés de la nature complexe de la migration. Cette étude affirme d’ailleurs que les médias des pays de la Méditerranée adoptent différentes voix pour relater l’immigration et généralement les récits sont relatés d’une manière différente. Ainsi l’histoire de la migration est présentée selon deux récits médiatiques parallèles : d’un côté, certains médias présentent des rapports émotionnels, qui dénoncent la situation critique des immigrants en tant que victimes et d’un autre côté, d’autres médias relatent les événements tragiques et la précarité qui menace les migrants en matière de sécurité et de bien-être culturel.

En ce qui concerne les communautés d’accueil, cette étude confirme que la couverture médiatique tend d’abord à refléter l’empathie, la solidarité et la bonne volonté envers les migrants fuyant les zones de conflits. Mais avec le temps, le discours médiatique a changé pour devenir plus hostile à l’égard des migrants en diffusant des stéréotypes racistes ou en distillant un discours de haine. Bien que la plupart des médias s’efforcent d’éviter la propagande raciste et extrémiste sur la migration, certains journalistes ont développé un discours haineux qui va à l’encontre de la déontologie du métier.

Par la suite, cette étude affirme que même les pays historiquement familiers des phénomènes migratoires, semblent prendre leurs distances par rapport aux migrants et leurs médias ne répercutent pas la parole des migrants. Leurs reportages médiatiques reposent en effet beaucoup plus sur un seul volet de l’information et la plupart du temps sur des sources officielles.  Certains journalistes ignorent même la terminologie correcte pour désigner les différentes catégories de migrants : immigrés, réfugiés et demandeurs d’asile.

Ajoutons aussi que les médias en ligne notamment les médias sociaux influencent souvent la couverture médiatique et facilitent la propagation de rumeurs et d’informations d’urgence qui nourrissent de plus en plus le sentiment de peur auprès du grand public.

En revanche, les auteurs ont confirmé les contraintes auxquelles sont soumis ces médias à savoir : le manque de temps et de ressources suffisantes, les conditions précaires du terrain,  le problème de l’accès à des données fiables sur le nombre des migrants et les conditions de leur migration, la mauvaise formation des journalistes sur le sujet de la migration et l’influence du discours de la haine introduit par les hommes politiques ou les médias sociaux dans les salles de rédaction. Le rapport a révélé également le manque de stabilité de la couverture médiatique qui tantôt passe en revue la souffrance des immigrés et tantôt transmet un discours de discrimination et de haine envers eux.

De plus, même si certains hommes politiques européens ont accueilli favorablement les immigrés et les médias ont couvert leurs actions, l’enthousiasme politique n’est plus le même dans les pays qui ont vécu des attaques terroristes comme l’Allemagne et la France. Les auteurs pensent ainsi que le rôle des politiciens dans ce cas, consiste à lancer un débat national pour faire face aux nouveaux défis de la migration.

Recommandations pour un journalisme de qualité sur les migrations

L’étude propose un ensemble de recommandations préliminaires visant à soutenir et à favoriser un journalisme sur la migration plus objectif et basé sur des faits.

Vu le nombre de lacunes enregistrées, cette étude souligne qu’il demeure important de soutenir les bons exemples et le journalisme de qualité sur la migration : ingénieux, minutieux et marqué par une couverture soignée, sensible et humanitaire. Il est aussi évident d’encourager les journalistes en proposant des prix à gagner que ce soit à l’échelle nationale ou méditerranéenne.

Par ailleurs, saisir le droit international humanitaire notamment celui des immigrés, des réfugiés et des demandeurs d’asile est essentiel mais il faut aussi développer des programmes de formation au profit des médias et des journalistes, pour les rappeler de l’éthique du métier et mettre l’accent sur la terminologie correcte. En même temps, il faut développer les conditions de travail des journalistes en leurs fournissant plus de ressources ainsi que le matériel adéquat. Des manuels pourront aussi être mis à leur disposition.

A leur tour, les chercheurs du domaine des médias pourront participer à l’amélioration de la qualité du discours sur la migration, ce qui rend utile la promotion de nouveaux projets de recherche sur ce sujet pour identifier les nouvelles tendances et les différents aspects de l’immigration.

Puis, l’examen de la possibilité de l’application des initiatives nationales, comme la « Charte de Rome » en Italie ou la « Charte grecque », dans d’autres pays est recommandé. Ainsi, promouvoir l’échange d’expériences entre les pays où la crise migratoire est la plus aiguë, tels que le Liban, la Jordanie ainsi que d’autres pays de la Méditerranée, pourra être fructueux pour améliorer la qualité du discours sur la migration.

Ensuite, l’étude relève qu’il semble utile de multiplier les plateformes médiatiques à travers lesquelles la couverture médiatique de l’immigration est véhiculée. Ce qui pourra mettre fin au discours de haine diffusé via les médias sociaux mais aussi donner plus de chance aux immigrants pour s’exprimer sur le sujet.

En plus des médias, l’étude confirme que les décideurs politiques ainsi que les militants de la société civile, jouent un rôle important pour instaurer un climat de tolérance et mettre en place un espace de dialogue afin de débattre en public le sujet de la migration.

Crédit Photo @Etude

 

 

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