Le jeune chef du gouvernement tunisien, Youssef Chahed, avait manifestement sous-estimé les réactions des médias et de la société civile à sa « circulaire N°4 » du 16 janvier 2017 visant à organiser la communication gouvernementale avec la presse. En se résignant à faire marche arrière, il a désamorcé la crise mais sans régler le problème de fond : celui d’organiser la communication gouvernementale dans le cadre du droit d’accès à l’information garanti par la constitution.
La crise ouverte déclenchée par « la circulaire n°4 » nous renseigne sur la difficulté, pour le gouvernement autant que pour ses partenaires médiatiques, de trouver le nouveau point d’équilibre entre d’une part le droit à l’information du public et d’autre part la protection des données sensibles.
La circulaire du 16 janvier 2017 signée par le chef du gouvernement interdit, dans son premier point, aux fonctionnaires publics de « faire des déclarations ou des interventions ou de publier ou divulguer des informations ou des documents officiels à travers la presse ou d’autres moyens d’information sur des sujets relatifs à leurs fonctions ou aux structures publiques où ils travaillent sans l’autorisation préalable et explicite de leurs chefs hiérarchiques ou des chefs des structures qui les emploient ».
Cette interdiction est cependant tempérée par le paragraphe suivant qui fait obligation à l’agent public de « ne pas entraver l’accès aux documents ou données officiels dont la publication est obligatoire ou autorisée ».
C’est ce que le porte-parole du gouvernement, Iyed Dahmani, a essayé de mettre en avant dans sa déclaration du 27 janvier dans laquelle il affirme que « la circulaire en question énonce clairement dans son premier alinéa le fait de permettre aux journalistes d’accéder à l’information et de la communiquer aux citoyens dans les meilleures conditions ». Mais la circulaire rappelle aussi le « Code de conduite et d’éthique de l’agent public », qui prévoit « la non divulgation d’informations ou de documents officiels, sans une permission préalable de la part de son supérieur hiérarchique ».
Au final, le souci d’équilibrer la circulaire sera loin d’être suffisant pour calmer la tempête des réactions hostiles au texte.
Dans un communiqué de presse publié le 6 février, l’organisation britannique Article 19, très active en Tunisie, considère que « la circulaire n. 4 en date du 16 janvier 2017 … régissant le travail des cellules d’information et de communication relevant des ministères, des institutions et des entreprises étatiques constitue une atteinte au droit d’accès à l’information puisque son premier point va à l’encontre des dispositions de l’article 32 de la Constitution Tunisienne et du Décret n.41/2011 relatif à l’accès aux documents administratifs des structures publiques, mais également des dispositions de la nouvelle loi n.22/2016 en date du 24 mars 2016 concernant le droit d’accès à l’information. »
Pour la directrice du bureau de Tunis de Article 19, Saloua Ghazouani, le message contenu dans cette circulaire jette des doutes sur « l’existence d’une réelle volonté politique pour garantir le droit d’accès à l’information ». Selon elle, il aurait été plus indiqué de « publier une circulaire incitant les fonctionnaires à respecter la loi et entériner ce droit et non les encourager à entraver et restreindre l’accès à l’information ou à dissimuler des données qui devraient au contraire être publiées volontairement. Rappelons à cet égard que la plupart des structures publiques n’ont pas encore mis à exécution leurs obligations légales en matière de publication volontaire d’informations, de données et de documents, ou de réponse à des demandes d’accès aux informations.
De son côté, Reporters Sans Frontières (RSF) s’inquiète de « la dégradation, ces derniers mois, de la liberté de la presse dans le pays » et rappelle qu’en mai 2015, « l’interdiction a été faite à des journalistes d’accéder à des établissements scolaires, à la suite d’une circulaire du ministère de l’Education ».
Quant aux organisations tunisiennes du secteur des médias, elles n’ont pas manqué de dénoncer fermement les dispositions de la circulaire n°4. Dans une déclaration conjointe en date du 22 février, les quatre principaux syndicats de journalistes et d’éditeurs exigent le « retrait immédiat de la circulaire ».
Face à cette levée de boucliers inattendue, le gouvernement fait marche arrière et son porte-parole annonce le 24 février que « Les dispositions prévues par cette circulaire … vont être révisées pour s’accorder à la vision de notre gouvernement, qui tient à la liberté de la presse et au droit d’accès à l’information ». Des réunions seront tenues avec les structures professionnelles afin de réexaminer la circulaire en question, a-t-il assuré.
Cette reculade peu glorieuse traduit une fébrilité évidente du gouvernement face aux organisations syndicales défendant des intérêts corporatistes. Pourtant, l’année 2017 s’annonçait fort bien pour la relation gouvernement- médias. En effet, au lendemain d’un conseil ministériel tenu le 13 janvier, le chef du gouvernement s’est rendu au siège du syndicat national des journalistes (SNJT) pour annoncer des mesures attendues depuis longtemps par les professionnels :
– l’octroi de la publicité publique à la presse écrite et électronique
-le versement de 5% des revenus de la publicité publique à l’Amicale des journalistes
-la reprise des abonnements publics aux journaux
-la finalisation des procédures de l’appropriation du siège du SNJT
-l’octroi d’un terrain pour le projet résidentiel au profit des journalistes.
Si le chef du gouvernement avait consenti ces « générosités » dans l’espoir de s’attacher les faveurs des organisations professionnelles, il allait découvrir rapidement qu’elles n’ont pas renoncé à leur vocation revendicative en rejetant massivement sa « circulaire n°4 ».
Crédit Photo @Mosaique
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