Des universitaires réagissent à la déclaration du Comité pour la protection des journalistes (CPJ) concernant les chaînes « Nessma » et « Zaytouna »

novembre 17, 2021 • Articles courts, Articles récents, Chercher, Derniers articles, Economie des médias, Ethique et Qualité, Formation en Journalisme, Les infos du numérique, Media et Politique • by

Six universitaires tunisiens ont adressé une lettre au Comité pour la protection des journalistes (New York, CPJ) après la publication de son communiqué dénonçant la suspension des émissions des chaînes de télévision Nessma et Zaytouna, en plus de la Radio du Saint Coran. Les signataires de la lettre ont adressé leur étonnement au Comité car la décision de suspension a émané d’une instance de régulation indépendante du gouvernement et ont demandé au CPJ d’enquêter davantage et de ne pas céder aux campagnes de désinformation menées par les lobbies qui étaient derrière les deux chaînes, chose qui les a incitées à ignorer les décisions de la haute autorité indépendante de la communication audiovisuelle et à ne pas régulariser leur situation juridique.

Ci-dessous le texte de la lettre et la liste des signataires :

 

Monsieur    Joël Simon,  directeur exécutif du Comité de protection des journalistes

Objet : réaction à propos de la position du Comité de la protection des journalistes (CPJ)  au sujet de la suspension de la diffusion de  certaines télévisions et radios illégales en Tunisie.

Monsieur Le directeur exécutif,

Nous, les universitaires soussignés, vous exprimons notre grande stupeur devant l’insistance du Comité pour la protection des journalistes (CPJ) à exiger  des autorités tunisiennes le 7 puis le 27 octobre 2021 d’autoriser  les  chaînes de radio et de télévision illégales à poursuivre leur  diffusion  malgré  leur indifférence face aux décisions de la Haute Autorité Indépendante pour la Communication Audiovisuelle (HAICA), considérée comme la seule instance arabe vraiment indépendante des différents centres  d’influence et des lobbys financiers suspects.

Nous croyons, à la suite  de plusieurs avis,  avertissements  et amendes de  la HAICA, à l’encontre des chaînes de télévision et de stations de radio qui diffusent de manière anarchique  et sans autorisation légale en la nécessité de faire en sorte que :

  • Cette autorité puisse rendre des décisions de suspension de la diffusion et de fermeture, conformément aux dispositions de l’article  31 du décret no 116 de 2011 publié le 2 novembre 2011, relatif  la liberté de la communication audio-visuelle et portant  création  d’une Haute Autorité Indépendante de la  Communication Audiovisuelle.

 

  • Les autorités publiques mettent à exécution les décisions de saisie et de suspension exigées par la loi, à l’image de ce qui s’est passé au cours des dernières semaines, en raison du refus répété des chaînes et stations récalcitrantes de s’y conformer.

 

Ces résolutions et les mesures pour les mettre en œuvre sont, comme vous le savez, normales et nécessaires dans les États démocratiques où la primauté du droit prévaut. Leur légitimité et leur  importance découlent du fait qu’elles émanent d’une autorité de régulation indépendante chargée de l’organisation de la  communication audio-visuelle  depuis sa création le  3 mai 2013, dans le cadre d’ un processus participatif dont la voie a été balisée depuis 2011 par la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique, en collaboration  avec l’Instance  nationale de réforme de l’information et de la communication.  Il s’agit d’un processus qui a été entravé pendant près de deux ans par des  partis politiques et des groupes de pression qui n’ont cessé de soutenir jusqu’à ce jour  la radiodiffusion et la télédiffusion  anarchique, après avoir échoué à réduire les prérogatives de la HAICA et à la transformer en un organe fantoche qui obéit à leurs ordres.

C’est pourquoi les positions et déclarations de certaines parties extérieures, et parfois – malheureusement- d’organisations non gouvernementales peu familiarisées avec les réalités du paysage politico-médiatique tunisien ou influencées  par les campagnes de désinformation de certaines parties concernées par le pouvoir en Tunisie, qui critiquent  les  décisions de suspension et de saisie récemment mises en œuvre, suscitent  beaucoup d’étonnement.

La désapprobation de ces résolutions, dont l’exécution est réclamée depuis des années par de nombreuses organisations professionnelles et  de défense des droits humains  tunisiennes et qui cherchent à consacrer la primauté du droit, à faire respecter les dispositions légales et à organiser le paysage audio-visuel, vise, de notre point de vue à violer la loi , à rendre le paysage médiatique plus chaotique  et à protéger les  radios et les chaînes de  télévision qui diffusent délibérément d’une manière anarchique avec l’appui  de puissants partis politiques et de lobbys sur lesquels plane une forte suspicion de corruption.

Nous mettons en garde contre le danger de continuer à offrir une protection illégale à ces canaux et à les inciter à s’en prendre continuellement à l’État, au point de porter des accusations d’hérésie, d’encourager la haine et de déchirer en direct des documents relatifs à des décisions de l’Autorité de régulation dans un entêtement et un défi sans précédent.

La défense des chaînes, qui n’ont pas d’autorisation de diffusion et  qui violent  la loi, est impensable dans les États où la démocratie et le respect de la loi  sont ancrés et où les chaînes implantées anarchiquement sont fermées sur le champ.

Sur la base de notre connaissance du processus de réforme des médias dans lequel nous avons été impliqués depuis le début de la transition démocratique en 2011, nous prions votre organisation de tenir compte de ces données lors de vos prises de position relatives aux liberté de l’information en Tunisie. Vous nous aiderez, ainsi à ancrer le principe de la régulation indépendante de l’audiovisuel dans les pratiques politiques, loin de toute instrumentalisation intéressée contraire au droit du citoyen à une information indépendante répondant aux normes professionnelles internationalement reconnues.

Nous vous prions d’agréer, monsieur le directeur exécutif, l’expression de notre haute considération.

  • Hafidha Chekir, professeure de droit public, vice-présidente de la FIDH

 

  • Hamida El Bour, professeure de journalisme, ex- PDG de l’agence de presse TAP

 

  • Abdelkrim Hizaoui, professeur de journalisme, président de Media Development Center (MDC)

 

  • Ridha Jenayeh, professeur de droit public, ex-président de la Commission de l’information et de la communication de la Haute Instance de Réalisation des Objectifs de la Révolution (HIROR, 2011-2012)

 

  • Mustapha Ben Letaief, professeur de droit public, ex-PDG de la Télévision Tunisienne

 

  • Taoufik Yacoub, professeur de journalisme, membre du bureau directeur de Vigilance pour la Démocratie et l’Etat Civil (Yaqadha)

 

 

Texte de la lettre en anglais:

 

Tunis, 5 November, 2021

 

       Mr. Joel Simon, executive director of the Committee to Protect Journalists (CPJ)

Subject: Astonishment regarding CPJ’s position on the suspension of certain illegal TV and radio stations in Tunisia.

 

Dear Mr. Joel Simon, 

 

     We, the undersigned academics, write to express our deep astonishment at the insistence of the Committee to Protect Journalists on 7 and 27 October 2021 to demand that the Tunisian authorities allow illegal radio and television channels to resume broadcasting, despite their indifference to the decisions of the Independent High Authority for Audiovisual Communication (HAICA), considered the only broadcasting regulator truly independent of Arab governments and of the various pressure groups and suspicious financial lobbies.

 

Following several decisions, warnings and fines issued over the past years by the HAICA against a number of TV and radio stations, which broadcast in a lawless manner, we believe in the need to ensure that: 

   

  • This regulator issues decisions to suspend broadcasting and close down stations in accordance with the provisions of Article 31 of Decree No. 116 of 2011 on Freedom of Broadcasting Communication and the creation of the HAICA. 

 

  • Public authorities implement the HAICA’s seizure and suspension decisions required by law, as has happened in recent weeks, due to the repeated refusal of these radio and TV stations to comply with the law.

 

The implementation of these resolutions and measures are, as you know, normal and necessary in democratic countries, where the rule of law prevails. Their legitimacy and importance derive from the fact that they stem from an independent regulatory body responsible for the regulation of audio-visual broadcasting, created on 3 May 2013. Its establishment came as part of a participatory process, whose way has been paved since 2011 by the High Authority for the achievement of the objectives of the revolution, political reform and democratic transition, in collaboration with the National Authority to Reform Information and Communication (INRIC).

 

This is a process that has been thwarted for almost two years by political parties and pressure groups that have backed and still continue to support anarchic radio and TV broadcasting, following their failure to diminish the authority of the HAICA and attempts to pass in 2020 a draft law that would turn the broadcasting regulator into a puppet body that obeys their orders.

 

This is why we are bewildered by the positions and statements issued by certain external groups, and sometimes – unfortunately – by non-governmental organizations, not familiar with the profound characteristics of the Tunisian media and political landscape, or influenced by disinformation campaigns orchestrated by certain parties involved in the political power struggle in Tunisia. Such positions and statements seem to echo the critical positions recently expressed by political parties and pressure groups opposed to the recently implemented HAICA suspension and seizure decisions.

 

The denigration of these decisions, the execution of which has been demanded for years by many Tunisian professional and human rights groups promoting the rule of law, the enforcement of legal provisions regulating the audio-visual landscape, ultimately aims, from our point of view, to violate the law. It will make the media landscape more chaotic and protect radio and TV channels which deliberately spread in an anarchic manner with the support of powerful political parties and lobbies which emit a strong suspicion of corruption.

 

We warn of the danger of continuing to offer illegal protection to these channels and to consequently incite them to continually attack the State, to the point of spreading accusations of heresy, encouraging hatred and tearing up live some documents relating to the broadcasting regulator’s decisions, in unprecedented stubbornness and defiance.

 

The defense of channels, which do not have a broadcasting license and violate the law, is unthinkable in states where democracy and respect for the law are entrenched and where anarchically established channels are immediately closed.

 

Based on the above, which is based on our experience that has allowed us to follow all the stages of the media reform process since the beginning of the democratic transition in 2011, we kindly ask your organization to do more fact-checking before issuing press releases that do not help Tunisia anchor the international standards for independent broadcasting regulation, and protect itself from rising and threatening waves of disinformation.

 

Please accept, Mr. Simon, the expression of our highest consideration.

Sincerely,

 

  • Hafidha Chekir

Professor of Public law and

Vice President of the International

Federation of Human Rights (FIDH).

 

  • Hamida El Bour

Journalism professor and former CEO 

of Tunisia’s national news agency (TAP).

 

  • Abdelkrim Hizaoui

Journalism professor and founder and head of Media Development Center (MDC).

 

  • Ridha Jenayeh

Public law professor and former head of the media and communication committee at Tunisia’s higher authority for the achievement of the objectives of the revolution, political reform and democratic transition (2011-2012).

 

  • Mustapha Letaief

Public law professor, former CEO of Tunisia’s public TV (2014-2015).

Taoufik Yacoub, journalism professor and member of the board of Vigilance for Democracy and the Civic State.

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