Tunisie : Que réserve le Covid-19 aux chaines de télé privées?

avril 28, 2020 • Articles récents, Chercher, Derniers articles, Dossier d'actualité, Economie des médias, Économie des Médias, Journalisme spécialisé, Le journalisme au temps du coronavirus, Media et Politique • by

Crédit image @HAICA

 

Boudées depuis une décennie par une bonne partie des téléspectateurs qui semblent avoir trouvé dans les réseaux sociaux une meilleure alternative, les chaines de télévision tunisiennes privées font aujourd’hui face à une épreuve de taille dans leur tentative de retrouver leur audimat érodé.

Confinés depuis plusieurs semaines en raison de la propagation du nouveau coronavirus Covid-19 dans le pays, les Tunisiens sont pour la plupart scotchés des heures durant devant leurs écrans pour s’informer d’abord et pour se divertir ensuite. Tous les regards sont désormais braqués sur le petit écran qui gagne en notoriété et attractivité.  « Nous sommes désormais appelés à fournir davantage d’efforts et à continuer de travailler à  un rythme beaucoup plus accéléré mais avec le peu de moyens matériels et en l’absence presque totale de l’expérience en matière de couverture médiatique des pandémies. C’est bien clair, la crise que nous vivons aujourd’hui est sans précédent et aucun des médias du monde ne serait capable de réussir sa couverture à 100% » nous confie O.J, une journaliste d’une chaine de télé privée.

La fragilité des chaines de télé privées, faut-il le souligner, ne date pas d’aujourd’hui. Elle  remonte en fait à plusieurs années et plus précisément à l’avènement de la révolution. Une révolution qui a permis d’ouvrir grande la porte aux hommes d’affaires souhaitant investir dans l’audiovisuel, perçu donc comme un secteur fructueux, prometteur et sous-exploité dans la mesure où l’ancien régime de Ben Ali interdisait le pluralisme médiatique dans  toutes ses formes. Ces investissements plutôt ciblés ont donc donné naissance à un déséquilibre médiatique supplémentaire. En effet, confrontés à une amère et décevante réalité, certains de ces investisseurs de la « dernière minute » ont fini par disparaitre du paysage médiatique. D’autres, en revanche, ont pu tenir le coup en jouant la carte politique mais aussi en « exploitant » à fond des journalistes, des techniciens et autres collaborateurs contribuant ainsi à  « une marginalisation»  accrue  du secteur.

Une crise qui risque de s’aggraver

Aujourd’hui, on compte neuf chaines de télévision privées reconnues officiellement par la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA) mais ces chaines sont beaucoup moins nombreuses à être reconnues par l’audimat. Et la crise sanitaire mondiale que nous vivons actuellement a aggravé la situation : l’audimat ne semble plus être le facteur principal de leur survie. En effet, ces chaines sont aujourd’hui menacées et ce, en dépit des taux de pénétration record qu’elles commencent à enregistrer depuis le déclenchement de la crise et l’instauration du couvre-feu puis du confinement total. Cela peut paraitre paradoxal, certes, mais le constat est là.

Dès lors, les journalistes et techniciens sont appelés à fournir davantage d’efforts pour répondre aux exigences de l’heure et ne pas rater l’occasion de remonter la pente et ce, au prix de tant de sacrifices bien entendu. Reste toutefois que rien n’est garanti, bien au contraire, certaines chaines sont désormais hantées par le « spectre de la disparition ». En sursis, elles survivent tout simplement, leur devenir dépendant grandement de celui de plusieurs acteurs économiques considérés comme leurs « bailleurs de fond ». Cependant, ces derniers subissent également la crise, au mieux, suspendent leurs activités. Pire ils cessent carrément de produire en attendant de jours meilleurs. Opérateurs de télécommunication, grandes marques d’électroménagers, institutions bancaires, entreprises de produits alimentaires, cosmétiques et bien d’autres, ils sont confrontés à leur tour à une crise financière sans précédent et appelés à jouer pleinement leur rôle social (salaires, dons..). Aussi, ces entreprises ont-elles été contraintes de revoir leurs priorités et les campagnes de communication publicitaire ne seraient plus sur la liste de leurs priorités absolues.

N’hésitant pas auparavant à « mettre le paquet » pour diffuser en boucle leurs spots publicitaires en prime time pendant le mois de Ramadan, elles sont aujourd’hui découragées  et leur priorité est aux restrictions budgétaires pour mieux affronter une éventuelle crise financière post-Covid-19. D’autres ont préféré allouer de grandes enveloppes en faveur d’actions de mécénat histoire de participer à l’effort national de lutte contre la pandémie.

Un autre facteur qui aurait amené les annonceurs à renoncer ces derniers jours à leurs campagnes de communication serait aussi l’absence des feuilletons ramadanesques sur les chaines de télé, absence due à la suspension des tournages pour cause de coronavirus.

« Personne ne peut nier le fait que le secteur des médias privés est un secteur sinistré. Cette situation catastrophique s’est aggravée encore plus à cause de la crise sanitaire liée à la propagation du coronavirus. Nous savons tous que les chaines de télévision privées se maintiennent en vie uniquement grâce aux revenus publicitaires. Nous connaissons tous la réalité du marché publicitaire aujourd’hui : il y a seulement un spot par ci et un autre par là et nous ne sommes plus sûrs de pouvoir continuer sur ce même rythme. » a lancé l’avocate et chroniqueuse sur la chaîne privée El Hiwar Ettounsi, Sonia Dahmani. Elle a également   évoqué une affaire en liaison avec le marché publicitaire à savoir l’affaire de la vente des droits de diffusion du feuilleton ramadanesque « Galb Edhib » au profit de la chaine de Télévision Nationale. En effet, la productrice du feuilleton et ex- chroniqueuse à la chaine Al Hiwar Ettounsi, Khaoula Slimani, a expliqué avoir été dans l’obligation de signer un contrat avec l’Etablissement de la Télévision Tunisienne (ETT) pour pouvoir honorer ses engagements vis-à-vis de l’équipe de tournage, techniciens et artistes. Selon elle, la diffusion du feuilleton sur une chaine privée serait beaucoup moins rentable. Le feuilleton en question était en principe destiné à la chaine privée Al Hiwar Ettounsi.

La situation alarmante dans laquelle se trouvent actuellement les médias, y compris les chaines privées, a poussé le gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie (BCT), Marouane Abassi, à  lancer un appel de soutien aux médias déjà fragilisés depuis plusieurs années. S’exprimant sur les ondes d’Express Fm le 15 avril 2020, il a saisi l’occasion pour inciter l’ensemble des institutions bancaires et les grandes firmes tunisiennes et internationales, qui ont su résister à la crise, à ne pas suspendre leurs campagnes publicitaires dans les médias considérant que ces derniers contribuent grandement à redonner espoir aux Tunisiens confinés.

Ne dit-on pas que l’argent est le nerf de la guerre ? Effectivement sans recettes publicitaires, les chaines de télé privées vont souffrir.

Ah publicité quand tu nous tiens !

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