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1. Journalisme d’engagement et évolution du rôle des journalistes sur les médias sociaux
Yiping Xia, Sue Robinson, Megan Zahay & Deen Freelon (2020) The Evolving Journalistic Roles on Social Media: Exploring “Engagement” as Relationship-Building between Journalists and Citizens, Journalism Practice, 14:5, 556-573
Cet article explore le journalisme d’”engagement”, au sens anglo-saxon, c’est-à-dire qui cherche à construire une relation spécifique à ses publics, souvent par l’entremise des réseaux sociaux. En explorant la littérature sur les “rôles” des journalistes, et en analysant les types d’engagement des journalistes vis-à-vis des publics, l’article montre que les activités des journalistes sont finalement peu interactives et que l’engagement se décline dans un continuum variable.
2. Comment les organisations de fact-checking conçoivent leur mission face aux évolutions de leur métier
Graves, L. and Mantzarlis, A. (2020), « Amid Political Spin and Online Misinformation, Fact Checking Adapts ». The Political Quarterly, 91: 585-591
L’article décrit la manière dont les organisations internationales de fact-checking conçoivent leur mission, allouent leurs ressources et se positionnent face aux évolutions de leur métier depuis 2016. Les auteurs reviennent sur une évolution récente du fact-checking qui le situe entre politique et désinformation.
L’évolution majeure est celle d’une augmentation des contenus de vérification portant prioritairement sur le debunking de rumeurs virales sur les plateformes au détriment parfois de la vérification politique. Ce constat est particulièrement visible chez les journalistes membres de rédactions “partenaires” de Facebook. Dans les rédactions les moins dotées financièrement, cela se traduit par un choix à opérer entre le debunking de rumeurs et la vérification politique. L’article montre que ce sont à la fois les identités professionnelles et l’équilibre entre les types de fact-checking qui sont en jeu.
3. Innovation : le rôle des jeunes journalistes dans les rédactions
Marcel Broersma & Jane B. Singer (2020) « Caught Between Innovation and Tradition: Young Journalists as Normative Change Agents in the Journalistic Field », Journalism Practice (en ligne)
Être un.e jeune journaliste implique-t-il de facto d’être un.e agent.e de changements dans les rédactions ? Engager des jeunes journalistes ouvre-t-il automatiquement le champ des publics tout en repoussant les limites éditoriales existantes, des éléments parfois indissociables avec la survie des rédactions ? N’y existe-t-il pas une forme de mythe de la jeunesse innovante, induisant un sentiment de pression ? L’article explore ces questions en interrogeant pendant trois années des étudiant.e.s en journalisme au Royaume-Unis et aux Pays-Bas sur leurs propres perception de l’innovation et de l’entrepreneuriat par rapport aux conceptions et doxa historiques du monde journalistique.
Les résultats soulignent d’abord leur conscience de cette nécessité de changements dans les pratiques journalistiques, mais plus spécifiquement en appliquant des technologies existantes dans un champ dogmatique journalistique déjà existant. Paradoxalement, ils et elles ne se perçoivent pas comme des agent.e.s de disruption, et se montrent moins enclin.e.s à se lancer dans le journalisme entrepreneurial.
4. L’écart entre les idéaux journalistiques et la performance médiatique
Mellado C, Mothes C, Hallin DC, et al. (2020), « Investigating the Gap between Newspaper Journalists’ Role Conceptions and Role Performance in Nine European, Asian, and Latin American Countries. » The International Journal of Press/Politics.25(4):552-575.
Il s’agit d’une des premières grandes études comparatives à examiner l’importance de l’écart entre les idéaux journalistiques (role conception) et la performance médiatique (role performance), alors que la crédibilité et la responsabilité sociale du journalisme est vigoureusement débattue depuis le début du XXIe siècle. En d’autres termes, l’article évalue la proportion dans laquelle la production médiatique diverge ou s’écarte des motivations et des idéaux de celles et ceux qui la produisent.
Se basant sur une étude par questionnaire et une analyse des contenus médiatiques dans neuf pays de trois continents différents, l’équipe de chercheuses conclut à des décalages importants, en particulier s’agissant des fonctions démocratiques traditionnellement attribuées au journalisme – formation de l’opinion publique, quatrième pouvoir, participation citoyenne. En marge de facteurs individuels, comme le degré d’autonomie perçu des journalistes, les modèles de gouvernance des médias et les procédures éditoriales standardisées expliquent ces écarts.
5. Comment la rhétorique du journaliste trahit l’idée qu’il se fait de son lecteur
White Peter R.R. (2020), « The putative reader in mass media persuasion – stance, argumentation and ideology », Discourse & Communication, Vol.14, n°4, p.404-423
Cet article s’intéresse à la manière dont le lecteur « imaginé », « projeté » ou « présumé » par les journalistes est « inscrit » dans les textes de ces derniers. Utilisant le cadre théorique de la littérature d’évaluation (appraisal-framework literature), il montre comment la rhétorique et le discours employés par les journalistes permettent, en négatif, de reconstituer l’image du lecteur auquel ils pensent s’adresser à travers leurs textes. Si l’apparaisal theory avait déjà été utilisée pour évaluer le positionnement du journaliste face aux faits ou aux sources, elle n’avait encore jamais abordé l’importante question de la relation du journaliste à son public. Le cadre proposé offre donc une entrée inédite dans l’analyse des discours journalistiques.
6. Les facteurs de filtrage de l’information après leur publication
Hermida, Alfred. 2020. « Post-Publication Gatekeeping: The Interplay of Publics, Platforms, Paraphernalia, and Practices in the Circulation of News ». Journalism & Mass Communication Quarterly 97 (2): 469‑91.
Cet article propose d’actualiser l’un des concepts clés des théories de l’information et communication: le gatekeeping. Les données sont issues d’une petite étude d’usages menée par le Guardian en général, et d’une utilisatrice nommée Shazi en particulier. L’auteur de cette recherche déplace la question du filtrage de l’information en aval non-seulement de la sélection opérée par les journalistes, mais de la publication de l’information. Selon Hermida, quatre facteurs s’assemblent pour opérer ce filtrage post-publication: les publics, les plateformes, la panoplie d’outils de production, et les pratiques. En tant que grille d’analyse, ces quatre facteurs pourraient agrémenter d’autres outils d’évaluation d’une stratégie éditoriale pour les médias d’information.
Remarque : Cet article a été publié la première fois sur le site français de l’Observatoire Européen du Journalisme