«L’implication» est-il autre chose qu’un mot à la mode?

avril 17, 2018 • Articles récents, Derniers articles, Ethique et Qualité • by

« L’implication » est devenu un mot à la mode dans les médias, mais dans quelle mesure les médias sont-ils activement impliqués dans la participation du public?

Explorant les approches réelles du journalisme participatif, une étude comparée publiée récemment dans « Journalism Practice » examine le degré d’implication d’un échantillon varié de médias en Allemagne, en Suisse, en Autriche, au Royaume-Uni et aux États-Unis.

L’étude documente la façon dont les médias impliquent leurs publics, allant des appels aux commentaires en ligne des lecteurs aux dialogues personnels entre les auditoires et les journalistes, en passant par l’option de laisser les lecteurs décider quelles histoires méritent une couverture approfondie pour encourager les publics des médias à assumer des activités civiques. Mais dans l’ensemble, conclut l’étude, les médias n’ont pas réussi à atteindre «l’idéalisme participatif» envisagé par les défenseurs d’une plus grande implication du public.

«De nombreuses salles de rédaction parlent de l’implication comme priorité stratégique», note l’étude. « Mais l’engagement de l’industrie des médias à l’égard de l’implication du public reste façonné et limité par les atermoiements des lobbys commerciaux et culturels. »

Méthode 

L’étude transatlantique « Pratiquer l’implication: le journalisme participatif à l’ère du Web 2.0 » a été menée par les chercheurs de l’Université de l’Oregon, Regina G. Lawrence, Damian Radcliffe et Thomas R. Schmidt.

Les auteurs ont eu des entretiens approfondis avec des rédacteurs en chef et des journalistes représentant un large éventail de médias, allant de The Guardian (Royaume-Uni), à Der Standard (Autriche), au Dallas Morning News (États-Unis), la startup hyperlocale Billy Penn et la startup allemande Krautreporter ainsi que  les médias multiplateformes comme la BBC (Royaume-Uni) et Kurier (Autriche). Les médias ont été choisis pour fournir une diversité dans la taille, la longévité, le modèle économique et la propriété.

L’analyse des données s’est basée sur un processus qualitatif de trois étapes à travers lesquelles les entretiens étaient résumés et les pratiques d’implication codées pour cartographier le processus d’information. Les éléments chevauchants et les thèmes culturels étaient ensuite identifiés. Les chercheurs ont défini les règles maîtresses, les paradoxes et les métaphores racines qui irriguent  la culture organisationnelle.

Que signifie l’implication ?

Selon les chercheurs, la forme la plus courante de l’implication consiste à fournir une plateforme numérique pour afficher les réponses des lecteurs aux articles – un mécanisme de rétroaction qui, comme le note l’étude, n’est pas nouveau mais que la technologie a facilité.

Comme l’interaction avec les lecteurs se produit souvent sur Facebook, Twitter et d’autres plateformes, interagir avec le public signifie de plus en plus découvrir – le «comment, où et pourquoi»  trouver du contenu par les publics », indique l’étude.

Pour certaines salles de rédaction, ces données fournissent un « feedback » qui façonne la couverture journalistique. Robyn Tomlin, du Dallas Morning News, fait remarquer que «pouvoir synchroniser certaines fréquences différentes a définitivement changé les sujets que nous traitons et ne racontons pas, et comment faire pour les développer».

Mais la plupart des personnes interrogées ont décrit l’implication de l’auditoire en termes de distribution et de réaction du lecteur au contenu des nouvelles plutôt que d’orientation de la sélection des sujets et de leur cadrage. Les exceptions méritent d’être mentionnées. Par exemple, plusieurs éditeurs ont défini le concept comme un moyen d’activer les lecteurs, de les faire participer à des dialogues en face-à-face organisés par les médias et de les faire contribuer à la publication d’un numéro sur un sujet donné. Chez Billy Penn, la grande majorité des revenus est générée par des événements réels. Le modèle d’adhésion du Guardian comprenait un club de lecture en ligne, des opportunités de studio ouvert et des événements «rencontrez vos journalistes préférés».

Au Süddeutsche Zeitung, les lecteurs sont invités à voter sur des sujets qui méritent d’être couverts, tandis que Krautreporter sonde mensuellement ses lecteurs afin de trouver des idées d’articles.

Conclusions

Le journalisme d’implication sous ses formes variées a conduit de nombreuses salles de rédaction à rompre avec l’idée que le travail du journaliste est terminé une fois qu’un article a été imprimé ou publié, indique l’étude. Mais pour de nombreux médias, l’implication consiste principalement à inviter à des commentaires, à peaufiner ou à adapter le contenu en fonction de l’analyse des commentaires en ligne. Les rédacteurs ont indiqué que même la forme d’implication la plus courante – les forums en ligne – n’est souvent pas jugée rentable compte tenu du faible taux de réponse des lecteurs, de la qualité médiocre des discussions et du besoin élevé de supervision éditoriale.

Mais l’enjeu primordial est culturel: la réticence du journalisme à renoncer à la valeur fondamentale de l’autonomie de la profession, constate l’étude. En conséquence, les médias préfèrent généralement l’interaction avec le public en termes de réaction back-end au contenu des articles plutôt que l’implication des lecteurs dans la production de l’information, conclut les chercheurs.

«Dans notre échantillon, de nombreux points de vue traitent l’implication comme un instrument – l’implication comme moyen à d’autres fins – quelques-uns le considèrent comme substantiel: implication du public dans le choix des nouvelles et des sujets à raconter», estime l’étude.

«En fin de compte, malgré le débat sur la nécessité stratégique de l’implication, un engagement plus poussé peut s’avérer difficile pour de nombreuses salles de rédaction en raison des contraintes technologiques et économiques et des veille contraintes et de la culture traditionnelle.

N.B. : Cet article a été publié sur le site anglais de l’Observatoire Européen du Journalisme et traduit par Yosr Belkhiria

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