Pourquoi les médias ont besoin de l’Ombudsman ?

juin 30, 2017 • Articles récents, Derniers articles, Économie des Médias, Economie des médias, Ethique et Qualité • by

La récente annonce selon laquelle le « New York Times » élimine le poste de rédacteur public – parfois appelé ombudsman, ou représentant du lecteur – est triste mais loin d’être surprenante.
Il n’y a pas si longtemps, dans les années 80, il y avait plus de 40 journaux américains qui avaient un tel poste. Leur rôle était d’examiner les plaintes ou les observations des lecteurs au sujet des questions éditoriales substantielles et de publier leurs réactions. L’idée était de responsabiliser les journaux par rapport à leurs chartes rédactionnelles et de fournir aux lecteurs une évaluation indépendante sur leurs observations.
Indépendant est ici le mot clé. Aujourd’hui, aucun des grands journaux américains ne soutient une telle position. Le dernier était le « New York Times » qui a rejoint tardivement et à contrecœur le « club des Ombudsmen » en 2003 à la suite d’un scandale de plagiat impliquant l’un de ses journalistes. Les chiffres, en fait, étaient en chute depuis plusieurs années et la baisse s’est rapidement accélérée après 2008 au moment où la récession économique, combinée à la technologie en évolution rapide, a causé de sérieux ravages aux financements des journaux et à leur rentabilité.
Supprimer l’ombudsman semblait probablement être une tentation facile. Cela signifiait faire l’économie d’un poste et d’un salaire probablement équivalent à celui d’un rédacteur-en-chef et se débarrasser d’une fréquente migraine interne, le tout d’un seul coup.
Bien que la décision du « Times » plante le dernier clou dans le cercueil de ce poste, le glas réel de sa mort a sonné en 2013 lorsque le « Washington Post » a suspendu son soutien à un médiateur indépendant après 43 ans.
Un rôle originaire d’un journal du Kentucky, il y a 50 ans
Le « Louisville Courier-Journal » est devenu, en 1967, le premier journal à avoir un représentant du lecteur. Mais il a surtout servi comme un lien entre les lecteurs et la direction et, comme le premier ombudsman du « Washington Post », Richard Harwood, décrira plus tard le rôle à l’intérieur du personnel du Kentucky : « Il n’évaluait pas de manière indépendante et critiquait la performance du journal, et il ne publiait pas des reconnaissances d’erreur ou des sermons moralisateurs sur la nature pécheresse de notre métier ».
C’était le Washington Post en 1970, sous l’autorité de son rédacteur en chef Ben Bradlee, qui a créé une véritable colonne dimanche rédigée par un médiateur indépendant et que la direction n’en prend connaissance que le jour de sa publication, qui a encouragé une culture d’acceptation de la valeur d’un tel rôle dans une grande « news room », généralement sceptique.
J’ai passé 35 ans au « The Post », les cinq derniers après ma retraite, à titre d’ombudsman de 2000 à 2005. Après, je suis devenu le premier ombudsman à « Public Broadcasting Service » (PBS), où je suis resté pendant près de 12 ans. C’est donc, beaucoup de lecteurs grincheux, de téléspectateurs et, parfois, de journalistes et d’éditeurs. Mais, même si je comprends que le paysage de la presse a changé de façon spectaculaire, il me semble toujours que l’ombudsman indépendant a toujours été la meilleure façon pour un média de soutenir ses prétentions de responsabilité vis-à-vis de ses lecteurs et téléspectateurs. C’est aussi la raison pour laquelle je pense que la décision du « Times » est erronée et que la mise en place d’un « Centre de lecture » sous l’autorité du la hiérarchie interne ne remplacera pas le journalisme d’investigation et la représentation publique de l’ombudsman.
Il y a une raison pour exiger l’indépendance. Ce n’est pas une grande promotion dans la carrière des journalistes que de critiquer publiquement, le cas échéant, leurs médias. Les médias cherchent à demander des comptes du gouvernement, de l’industrie et des institutions américaines et ils doivent faire la même chose à leur segment de notre système de vérification et de contrepoids.
Pourquoi je pense que le rôle de l’éditeur public ou ombudsman reste essentiel
Dans le tout en ligne d’aujourd’hui et dans l’environnement actuel de médias en ligne et réseaux sociaux, il y a une abondance de critiques de la presse. Certains parmi eux peuvent parviennent à réaliser un bon taux de pénétration. Mais une bonne partie de ces critiques est fausse car reposant sur des critiques idéologiques, partisanes ou sur de simples intérêts ou il s’agit de sites qui montre leurs lecteurs ou abonnés où se plaindre et à propos de quoi.
Ils ont peu d’intérêt à améliorer le journalisme, mais plutôt à promouvoir les points de vue ou à démolir les projets médiatiques qui les menacent avec des rapports solides et fondés sur des faits.
Ainsi, un ombudsman peut, ces jours-ci, s’engager non seulement dans les critiques internes, mais dans la défense de son organe de presse contre de nombreuses critiques inexactes.
Les lecteurs et les téléspectateurs aiment voir leurs préoccupations abordées par une personne expérimentée, indépendante dans le contenu des médias qu’ils lisent ou regardent. C’est là qu’ils cherchent une réponse et non dans un site Web ou critique qu’ils peuvent ne jamais voir, lire ou entre parler.

Margaret Sullivan esr une ancienne éditrice de New York Times et actuellement à Washington Post

Les journalistes et les rédacteurs en chef qui travaillent pour les médias qui emploient un ombudsman lisent ce que l’ombudsman écrit parce qu’ils savent que leurs lecteurs et collègues le verront. Ils peuvent ne pas prêter beaucoup d’attention aux critiques extérieures. La présence d’un ombudsman indépendant qui publie régulièrement donne une motivation supplémentaire aux journalistes et éditeurs pour faire cet effort supplémentaire afin d’être au dessus de tous reproches journalistique avant d’appuyer sur le bouton de publication.
De même, l’ombudsman a plus de chance que les critiques externes de convaincre les éditeurs de s’expliquer et de donner des réponses. En effet, la plupart de ceux qui critiquent les médias à l’intérieur d’autres médias écrivent rarement, voire jamais, au sujet de leurs propres médias.
Alors que l’époque de l’ombudsman dans ce pays est clairement dépassée, il me semble que les décisions visant à éliminer cette fonction n’ont pas été bonnes. Les ombudsmen indépendants ou éditeurs publics assurent encore le contrôle le plus efficace sur la transparence de la presse et sur sa responsabilité ; les lecteurs et les téléspectateurs comme eux, peuvent attacher les lecteurs à leur journal et renforcer la crédibilité des médias. Ceci me semble aussi être une bonne solution.
Un ombudsman montre que la presse peut encaisser un coup de poing, si nécessaire, et non seulement en fournir un, et qu’il ya aussi une voix indépendante pour contrer les dénonciations quotidiennes de « fausses informations » et pour se défendre, le cas échéant, contre l’océan de critiques déloyales et inexactes.

Remarque : Cet article a été publié sur la version anglaise de l’Observatoire Européen du Journalisme et traduit par Yosr Belkhiria

Crédit photo @Scott Beale/Laughing Squid

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