Chaque matin depuis des années, Am Kamel, retraité de la fonction publique, reçoit tôt le matin son quotidien favori en langue française. Il a ses habitudes matinales, lève tôt qu’il est. Il ne peut déguster son café qu’en compagnie de son journal qu’il lit en désordre certes, mais qu’il parcourt en entier, durant une bonne partie de la matinée. Cependant ce jour là et plus précisément le 25 mars dernier il en a été privé. Le lendemain et les jours d’après aussi. Crise du Coronavirus et confinement total obligent.
Ce quotidien n’est pas le seul à cesser de paraître. Ils sont sept quotidiens et une vingtaine de périodiques qui ont également disparu de la circulation comme le leur a conseillé le président de la Fédération tunisienne des directeurs de journaux (FTDJ), Taieb Zahar, le 23 mars à l’issue d’une rencontre avec le Chef du gouvernement. « A la lumière des mesures présidentielles et gouvernementales récentes relatives au confinement total et étant donné les obstacles qui risquent d’entraver l’activité de certains médias, notamment lors de l’impression des journaux, la direction de la FTDJ conseille les confrères et directeurs des différents médias de suspendre l’impression des journaux à partir de maintenant » a-t-il déclaré. Une telle recommandation « vise à la protection des collaborateurs et à optimiser les méthodes de travail lors de cette période critique, notamment par le biais du travail à distance sur les sites électroniques. » Voilà, la messe est dite.
Risques de contagion
En effet le risque de contagion aussi bien des journalistes que des techniciens de l’imprimerie est grand dans la mesure où il est très difficile de respecter les mesures barrières à même de préserver la santé des uns et des autres aussi bien aux bureaux, dans les salles de rédaction, de saisie et de montage qu’à l’extérieur sur le terrain et également sur et autour des rotatives lors du tirage, de la distribution et de la vente des journaux. De la conception à l’imprimé, toutes les phases de réalisation d’un journal, ainsi que la rotative et son écosystème, nécessitent un travail d’équipe, des contacts directs et des espaces communs et peuvent être des vecteurs de contagion et de propagation du Covid 19. Le devoir dictait donc de penser en premier lieu à la préservation des ressources humaines à savoir journalistes, techniciens mais aussi administratifs.
Reste que cette raison, aussi importante et nécessaire qu’elle soit, n’est pas l’unique, la principale de la disparition des médias papiers. Il y en a d’autres dont la contribution potentielle du papier journal à la propagation de la pandémie. A cela s’ajoutent la mévente et la chute des recettes publicitaires.
Menaces de disparition
Pour ce qui est de la mévente, il faut avouer qu’elle n’est pas conjoncturelle, qu’elle ne date pas d’hier. Depuis des années déjà la chute des ventes des journaux papiers et des magazines, tous genres confondus, a engendré des pertes financières de taille et ce, entre autres, en raison du changement radical qu’a connu l’ environnement médiatique de ces supports aussi bien dans le pays qu’ailleurs : Réduction de la motivation d’achat des journaux, émergence de nouvelles chaines de télévision du buzz et de l’info-divertissement, avènement des sites d’information en ligne, des blogs et des journaux numériques…Les réseaux sociaux ont fini, de leur côté, par réduire le champ de diffusion et de pénétration du papier à sa plus simple expression. Nombre de journaux ayant été contraints de jeter l’éponge. Il faut toutefois reconnaitre que les contenus de ces médias n’avaient pas, ou peu, évolué concomitamment aux changements vertigineux qu’ont connus et connaissent encore aussi bien les technologies de l’information que les nouveaux supports médiatiques.
Le confinement général de la population imposé depuis le 22 mars pour endiguer la propagation du Coronavirus a contraint les kiosques à journaux à baisser les rideaux et à arrêter les circuits de distribution et de vente tant au Grand Tunis qu’à l’intérieur du pays. Ce qui a amené les responsables des supports médiatiques papiers à réduire les tirages dans un premier temps pour arrêter carrément les rotatives dans un second temps et basculer finalement sur le tout-numérique pour ceux qui avaient déjà leurs propres sites. Accusant ainsi des pertes sèches dans la mesure où l’accès à leurs contenus est gratuit. Une consolation toutefois : la récupération des dépenses, notamment, en papier qui est importé et coûte assez cher.
L’autre réalité à l’origine de la disparition des journaux des kiosques est la chute des rentrées publicitaires dont dépend dans une très large mesure la survie de ces médias. Pas ou très peu de pub signifie l’asphyxie puis la mort. Or les répercussions de la crise du Coronavirus sur l’économie du pays en général et sur les acteurs économiques en particulier n’est plus aujourd’hui à démontrer. Une économie post-révolution chancelante et des secteurs entiers sinistrés pour ne pas dire agonisants. Conséquence : une activité à l’arrêt et des enveloppes auparavant dédiées au marketing et à la publicité détournées vers d’autres exigences de l’heure comme les salaires, le paiement des chèques des fournisseurs, etc. D’où le manque à gagner conséquent pour les journaux papiers. En effet, l’équation est simple : pas de vente donc pas de lectorat donc pas de publicité. Aussi nos quotidiens, nos hebdos et nos magazines finiront-ils purement et simplement par disparaitre les uns après les autres si l’Etat ne viendrait pas à leur secours en tant qu’entreprises en difficulté? Reste que la trésorerie publique elle-même est en difficulté et les économistes et autres experts ne présagent rien de bon pour demain. En perspective, une décroissance de 4,3% et son lot de faillites d’entreprises et surtout de PME-PMI, de chômeurs additionnels, d’emprunts intérieurs et extérieurs….
C’est dire que la presse écrite, déjà affaiblie et aujourd’hui malade du Coronavirus, est mal partie.
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