Le journal libanais Annahar: pages blanches face aux ténèbres

novembre 12, 2018 • Articles récents, Derniers articles, Economie des médias, Media et Politique • by

Dans un acte sans précédent, le quotidien libanais Annahar a paru le jeudi 11 octobre 2018 avec huit pages blanches, avec uniquement le nom du journal au centre, la photo de son ancien directeur martyr, l’ex député Gebran Tueni et son serment à droite.

Annahar a annoncé qu’il avait lancé le slogan « Un jour blanc face aux ténèbres », exprimant son espoir de marquer, à travers ce numéro, un tournant dans la presse libanaise et de tirer la sonnette d’alarme face à une situation de crise politique et médiatique.

Les pages vierges du quotidien ne se limitaient pas à la version papier, mais s’étendaient au site Web et ses pages sur les réseaux sociaux, qui affichaient également un écran blanc.

Fondé en 1933, Annahar est l’un des plus importants quotidiens du Liban. Cependant, il souffre , depuis des années, des multiples difficultés engendrées par  l’incertitude politique et les crises financières au Liban, qui ont plombé la presse écrite.

La situation instable du Liban a conduit Annahar à cette chute, selon une déclaration de la rédactrice en chef du journal Nayla Tueni. Cette décision intervient après un danger accru :  « Les pages blanches d’aujourd’hui sont un moment d’expression qui reflète notre sentiment profond de responsabilité en tant qu’institution médiatique nationale face à la situation catastrophique du pays », a déclaré Nayla Tueni.

Selon Tueni, Annahar est « fatigué d’écrire sur les promesses et les prétextes répétés et vides … Nous avons attendu deux ans pour donner à la population le droit d’élire ses députés, des mois pour l’élection du président de la République et nous attendons encore la naissance du gouvernement depuis 5 mois ». Selon elle, dieu seul sait le nombre de jours que devraient attendre les libanais pour voir le « jour blanc ».

Une crise politique qui a touché la presse écrite, qui se bat depuis des années avec les problèmes de financement et pâtit des crises de succession politique et du cadre juridique incertain. Ces crises ont conduit le journal à réduire le nombre de pages de 12 à 8 pages. Rappelons que le journal paraissait en 24 pages avec de réduire progressivement leur nombre.

Le journal Annahar a choisi de publier des pages blanches en guise de message indiquant que la presse papier avait eu recours à une réduction du nombre de pages pour tenter de résister, alors que de nombreux journaux ont été contraints de cesser leur publication, notamment le journal Al Safir, l’un des piliers les plus importants de la presse libanaise. Assafir a en effet fermé fin 2016 après 42 ans de publication «en raison de la crise financière », a déclaré Talal Salman, fondateur et rédacteur en chef du journal. Le Liban avait ainsi perdu la « voix des sans voix » (Slogan du journal).

La fermeture des journaux n’a pas cessé avec la disparition de Assafir r: fin septembre 2018,  la maison d’édition Dar Assayyad, propriétaire du journal Al-Anwar et de plusieurs magazines artistiques, a annoncé l’arrêt de « Al Anwar » en plus des autres publication de la maison d’édition. Le journal a justifié sa décision par « des pertes matérielles ».

Avec l’arrêt de « Al Anwar », Dar al-Sayyad marqua la fin d’un journal approchant de sa soixantième année,  fondé en 1959 et ayant publié 19911 numéros.

Ceux qui connaissent l’histoire de la presse au Liban savent que ce pays était la capitale de la presse arabe. Ce pays est aujourd’hui menacé de devenir le pays du « journal unique». En effet, le journal « Al Akhbar« , qui est proche du Hezbollah, est le seul à ne pas connaître de crise financière et à pouvoir se maintenir.

Il n’existe pas de diagnostic de la presse libanaise meilleur que la description de la journaliste Jouni Fakhri, qui a exprimé sa peur de la suspension de la publication d’Annahar, à la suite de la fermeture d’Assafir et d’Al Anwar: « l’ambassadeur (Assafir) a pris sa retraite, les lumières (Al Anwar) se sont éteintes et le jour (Annahar) s’est transformé en nuit…   »

N.B. : Cet article a été publié sur la version arabe de l’Observatoire Arabe du Journalisme et traduit par Yosr Belkhiria

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