Les pure-players d’information algériens sur Facebook

juin 28, 2018 • Articles récents, Derniers articles, Économie des Médias, Economie des médias, Les infos du numérique, Modèles économiques • by

Crédit photo @Jimdinh

Depuis quelques années, nous observons la présence de pure-players algériens sur Facebook. Ces derniers fournissent de l’information qui émane de professionnels et d’amateurs.

C’est dans ce « web clair-obscur », offert par le réseau social Facebook, que les pure-players algériens publient à travers des pages officielles qui portent leurs noms de domaine.

En fait, les pure-players algériens fournissent de l’information dans une logique économique numérique du « tout gratuit ». Dépendant entièrement de recettes publicitaires plutôt faibles, ce modèle s’avère être insuffisant en temps de crise pour la grande majorité des sites. Cela accentue la précarité des sites, obligeant les rédacteurs à travailler bénévolement et à puiser dans les fonds propres des fondateurs. A cela s’ajoute le manque de professionnels du web qui maîtrisent les techniques du design, de la diffusion et surtout du référencement.

Par ailleurs, dans ce flux gratuit de l’information, il devient presque évident qu’on ne peut pas «tout voir». Dès lors, la question de la visibilité s’impose d’elle-même.

Dans le cadre de notre travail de recherche, nous avons contacté les propriétaires d’une dizaine de sites entre juillet 2016 et février 2017, et bien que nous ayons eu quelques accords de principe pour participer aux entretiens, seuls les quatre suivants ont répondu à nos questions : Auto Algérie, El Manchar, Inty Mag et Inumiden

**Auto Algérie

Le site Auto Algérie a été mis en ligne le 22 février 2005. Il traite d’informations générales autour du monde de l’automobile. Il est géré entièrement par un seul rédacteur.

Le modèle économique de ce site se base sur les recettes publicitaires obtenues des concessionnaires automobiles et des assurances.

**El Manchar

Le site Al Manchar a été créé par un jeune pharmacien en mai 2014. Il occupe les fonctions de rédacteur en chef, de web master ainsi que de community manager.

Le contenu est complètement faux même s’il traite de l’actualité algérienne ou d’un événement réel. Le fondateur déclare que le site est dans « une opposition citoyenne », loin de tout militantisme politique.

Créé sur les fonds propres de son fondateur, il peine à obtenir de la publicité de Google adsense depuis quelques mois alors qu’au début de son lancement, la pub permettait au site de s’autofinancer. Cependant, le fondateur assure pouvoir continuer à faire vivre son site avec seulement deux autres bénévoles. Il déclare également que ses publications sur les RSN ont un impact direct sur le trafic de son site (plus de 60% de son lectorat en 2016).

**IntyMag

Créé par deux journalistes femmes, le site IntyMag a été lancé le 08 mars 2016, la journée internationale de la femme.

Le site compte trois journalistes et trois pigistes régulières, ainsi qu’une trentaine de collaboratrices (bloggeuses algériennes). Seules les pigistes sont rémunérées.

Le site est financé par les deux fondatrices ainsi que les rares recettes publicitaires et 70% de son lectorat provient des RSN.

**Inumiden

Le site Inumiden a été lancé le 01 juin 2015 par cinq jeunes Chaouis dans une logique militante pour l’identité culturelle de leur région.

Il se décline en deux sites distincts, l’un en français et le second en langue arabe, qui traitent de l’actualité culturelle régionale.

Les rédacteurs permanents du portail ne sont pas journalistes, mais ils sont tous des bloggeurs.

Inumiden est financé par des propres fonds des fondateurs et des donations des lecteurs. Il ne contient pas de publicité et ses produits multimédias ne sont pas monétisés sur YouTube.

La présence des pure-players algériens sur Facebook

Les propriétaires ont déclaré avoir ouvert des pages officielles sur plusieurs réseaux sociaux numériques au profit de leurs sites afin d’être au plus proche de leurs lecteurs. Facebook semble être le réseau social le plus actif si l’on considère les 19 millions d’algériens abonnés à ce réseau.

Nous nous sommes rapidement focalisé sur la question de la visibilité et son lien direct avec les publications sur Facebook. Les fondatrices d’Intymag disent que leur webzine est sur les RSN « parce que les algériens sont de grands consommateurs de RSN ». Elles y voient un grand potentiel de lecteurs pour leur site. Pour le fondateur d’El Manchar, c’est l’engouement pour ses posts sur Facebook qui l’a poussé à créer le site.

Le site Inumiden a opté pour une stratégie collaborative avec les lecteurs de Facebook avant même la création du site. En les associant, les fans et les contacts sur Facebook des quatre fondateurs du site ont participé à la création de ce dernier « leur permettant ainsi de suivre l’évolution du projet depuis le début, l’idée du site, le choix du logo et du nom,etc. » a déclaré Fouad Gasmi, un des fondateurs du site lors de l’entretien.

Cette opération démontre clairement la stratégie des fondateurs pour s’assurer une bonne publicité avant même la création du site. Cette démarche est basée sur l’interactivité. Dans la continuité de leur projet, ils ont créé plusieurs groupes pour les contributeurs du site (pour la traduction, le graphisme,etc.).

Les données collectées par le biais de l’API Netvizz de Facebook, nous ont permis d’avoir des statistiques réelles sur le flux de ces pages en matière de contenu et d’interactivité.

Dans le but d’obtenir des données concluantes, nous avons choisi d’extraire les données autour des 100 derniers posts publiés par ces pages pour la période antérieure au 10 avril 2018.

Nous avons constaté que pour atteindre les 100 posts demandés, il a fallu à l’API de remonter quelques mois en arrière (jusqu’à quatre mois pour le site Inumiden).Certains sites sont plus actifs sur leurs pages que d’autres. La différence entre les périodes peut être expliquée par la disponibilité des contenus, l’organisation des rédactions et le nombre de rédacteurs.

Quant à l’interactivité, la raison de la présence sur Facebook, invoquée par les propriétaires des sites pour être sur Facebook, est être visible. Nous constatons que depuis la mise en place des fonctions « réactions », les internautes préfèrent cliquer plutôt que commenter, les pourcentages des likes et des réactions sont nettement supérieurs à ceux des commentaires et des partages.

Concernant les contenus, nous avons constaté que les posts qui contenaient un lien hypertexte renvoyant directement aux sites pouvaient être un indicateur de stratégie de mise en visibilité des propriétaires des sites.

En effet, nous constatons que c’est le site citoyen Inumiden qui prend la tête du classement car 98% des posts sur sa page officielle sont des publications de son propre site alors que c’est celui qui en publie le moins. Par ailleurs, les sites des professionnelles (IntyMag) arrivent en dernier malgré le nombre élevé de ses rédactrices. Ainsi nous constatons que les non-professionnels semblent être les plus conscients des enjeux liés aux contenus.

Journalistes algériens et Facebook

Nous avons interrogé trois journalistes, entre février et mars 2017, autour des axes suivants : leurs formations de base, la formation au journalisme web, les difficultés rencontrées lors de l’exercice de leur métier et les raisons de leur présence sur Facebook.

Nous avons pu établir leurs profils socioprofessionnels. Ainsi, la moyenne d’âge des trois journalistes interrogés est de 28 ans. Massissilia a une licence en traduction et un master en journalisme. Madjid a une licence d’Anglais et prépare un master en journalisme médias société et culture. Quant à Sara, elle est la seule des trois à avoir une licence en Sciences de l’Information et de la Communication (SIC) et un Master 1 en journalisme socioculturel. Ils ont été formés au journalisme web au sein de leur rédaction soit par compagnonnage, en exerçant dans des pure-players, soit par le biais de formations de courtes durées souvent assurées par les rédactions dans lesquelles ils travaillent. Seule Sara (qui était journaliste sportive dans la presse écrite) déclare avoir été livrée à elle-même quand elle a intégré une rédaction web pour la première fois.

Les entretiens ont fait ressortir les difficultés que rencontre un journaliste web sur le terrain et la pression qu’il subit dans les rédactions par rapport à la rapidité du travail et le surmenage. Massissilia a fini par changer de métier après quatre ans dans un pure-player connu, pour un poste dans la fonction publique. Sara s’est orientée vers l’audiovisuel après deux années dans la presse en ligne. Alors que Madjid exerce depuis 2009 dans le domaine.

Quant à leur présence sur Facebook, ils expliquent clairement que c’est dans l’air du temps. Facebook permet de tisser des liens rapidement et accroitre ainsi les réseaux professionnels.

Ils déclarent pareillement trouver du plaisir à faire lire leurs articles à leurs amis et contacts, mais ne débattent que rarement du contenu.

Nous en déduisons que :

**Le modèle économique précaire qui dépend du financement par les propriétaires et des recettes publicitaires ne permet pas aux « petits » sites de survivre longtemps. Nous avons remarqué d’ailleurs que certains des sites que nous avions contactés au début de notre enquête avaient disparus entre temps.

**Le manque de professionnels incite les jeunes propriétaires et les journalistes à se former dans différents domaines liés au web afin de pallier aux difficultés techniques et rédactionnelles qu’ils rencontrent.

Les données obtenues des pages Facebook nous informent du dynamisme des publications, de leur contenu et l’intérêt qu’elles suscitent auprès des internautes. Cette interactivité semble du moins être au rendez-vous pour les sites qui animent leurs pages régulièrement.

Les rédacteurs et les propriétaires quant à eux, ont plusieurs profils. Ils sont tous universitaires, mais ne sont pas tous journalistes. Ils sont sur la toile pour remplir des objectifs bien précis et suivant des stratégies bien définies.

Par ailleurs, les données collectées permettent de lier le flux des pages à celui des sites puisque la majorité des visiteurs des sites contactés proviennent de Facebook.

La question de la visibilité des sites mise en place et fourni par les pages officielles sur Facebook semble quant à elle tout à fait répondre aux conditions de l’espace web « clair-obscur » alors qu’il faudrait sans doute trouver le moyen d’évoluer vers le mode « phare » dans un réseau comme Facebook.

Notons ainsi que cette étude était l’objet d’une communication publiée dans les actes du colloque de l’Université Le Havre, tenue en France, du 06 au 08 juin 2018. Ce colloque avait comme intitulé :  » Transparence et opacité des traces numériques ». 

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