La télévision demeure le média d’information prédominant au Maghreb et dans les pays du « Printemps arabe » qui ont vécu les soulèvements déclenchés depuis le début de 2011.
Dans son ouvrage intitulé « La télévision par satellites au Maghreb et ses publics : espaces de résistance, espace critiques », Ratiba Hadj-Moussa, Professeur à l’Université de Toronto, a choisi de traiter dans son ouvrage l’expérience de la télévision satellitaire (télévisions internationales et étrangères) dans les pays Maghrébins (Tunisie, Maroc et Algérie) entre 1990 et 2009.
Cette recherche, publiée aux Presses Universitaires de Grenoble en janvier 2016, analyse la manière avec laquelle les Maghrébins regardent la télévision et son effet sur la sphère publique. Elle a mis l’accent sur la nature de l’usage de la télévision (individuel ou collectif) d’une part et sur la classe sociale à laquelle appartiennent les usagers d’autre part.
Dans son ouvrage Ratiba Hadj-Moussa n’a pas essayé d’établir une comparaison entre les trois pays (Maroc, Algérie et Tunisie) vu que chaque pays a son propre cadre juridique dans le domaine de l’audiovisuel. Par contre, elle confirme que dans ces trois pays, « l’élaboration des espaces privés et publics, les projections de l’imaginaire politique, la volonté de trouver des espaces d’expression libre et les liens d’affiliation et de reconnaissance se déclinaient presque de la même façon » (p.22). Elle a adopté ainsi une démarche ethnographique, en interviewant 223 personnes (121 femmes et 102 hommes) réparties comme suit : 92 en Algérie, 59 au Maroc et 72 en Tunisie. Les deux tiers des interviewés étaient des jeunes âgés entre 16 et 35 ans.
La télévision satellitaire sous le contrôle des gouvernants
Dans cet ouvrage, l’auteure a signalé que l’arrivée de la télévision satellitaire était un événement marquant chez les Maghrébins bien que l’Etat ait voulu contrôler la réception des chaines satellitaires. Cette arrivée s’inscrit dans une histoire longue marquée par les échanges entre le sud et le nord de la Méditerranée. C’est à partir des années 1980 que la Tunisie et le Maroc ont ouvert timidement leur espace audiovisuel à des chaines télévisions étrangères telle que « France 2 » (appelée à l’époque « Antenne 2 »). La diffusion de la télévision satellitaire est liée à des motivations politiques et à des positionnements géostratégiques des groupes ou des Etats technologiquement avancés.
L’auteure a confirmé aussi que la télévision satellitaire participait à la fabrication de l’opinion publique alors que la grande majorité des Maghrébins s’opposent à leurs télévisions. Ils ont eu ainsi recours aux chaines étrangères qui étaient même un moyen pour développer un sens critique à l’égard du pouvoir politique mis en place. Ce fût le cas en Algérie, vers les années 90 et à partir des années 2000 en Tunisie et au Maroc.
La grande audience enregistrée par les chaines occidentales jusqu’à la fin des années 1990, n’a pas empêché les chaines arabes de s’imposer. Cela a eu lieu lors des guerres en Afghanistan (2001) et en Iraq (2003), qui ont favorisé la pénétration de ces chaines notamment la chaine qatarie Al Jazira. Cherchant plus de détails sur ces événements, le public du Maghreb a trouvé dans ces chaines un moyen pour s’informer davantage. Ce qui l’a poussé aussi à être critique par rapport aux chaines nationales.
Dans le même temps, une aspiration démocratique qui permet de rendre visible ce qui est caché, est devenue souhaitable. La télévision d’Etat est restée d’ailleurs fermée à l’opposition dans ces pays pour des années sauf en Algérie entre 1989 et 1991. Cela n’a pas empêché la privatisation du secteur mais l’autorisation n’a pas été donnée à tout le monde et le contrôle de la programmation s’imposait sans faute.
Les publics de la télévision satellitaire
L’auteure a mentionné dans son ouvrage que « l’adoption de la télévision par les Maghrébins constitue un acte de détachement de la vérité officielle et provoque des ruptures internes, notamment dans la manière dont les individus se positionnent par rapport à ce qu’on leur impose » (p.38). La télévision satellitaire présentait les problèmes sociaux et politiques que vit la société, dans la sphère publique et privée. A titre d’exemple, les téléséries diffusées par les chaines satellitaires arabes et nationales présentent des réalités censurées dans la vie de tous les jours des Maghrébins comme les relations amoureuses, les mariages d’amour, les enfants hors mariage, etc. Ce qui participe à la naissance de lieux de discussions, indépendamment des lieux de réception.
Cependant, les modes de visionnage changent d’une génération à une autre. Par exemple, les hommes de la même génération ne regardent pas les télévisions satellitaires occidentales avec leurs frères cadets ou ainés sauf s’il s’agit d’émissions sportives. Il est même quasi impossible de regarder en famille des émissions où l’on montre des corps nus ou des individus en tenue légère. La pratique du zapping est omniprésente. Ainsi, l’assiette parabolique est tantôt tournée vers l’Occident, tantôt vers le monde arabe. Cela n’empêche pas de faire naitre des sujets de discussions.
Mais d’un autre côté, certains jeunes s’identifiaient avec le personnage d’Amrou Khaled, la star des prêcheurs islamistes, très regardé durant la période de la recherche. Certaines femmes regardaient de plus en plus la chaine islamique Iqra.
Ajoutons que les lieux de visionnage diffèrent, ce qui constitue un objet d’étude du lien entre la sphère publique et la sphère privée.
Donc, cet ouvrage scientifique s’impose comme un déclencheur pour de nombreux sujets de recherche autour de la télévision, car la télévision satellitaire existe toujours sauf que les téléspectateurs d’aujourd’hui ne sont pas les téléspectateurs des années 90. Bien qu’il construise une idée développée autour de la diffusion et la réception des chaines satellitaires au Maghreb, en tenant compte du contexte politique, l’évolution de cette télévision devra être prise en considération selon le contexte technologique.
Crédit Photo @Renaud_Bray
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