Le journalisme à l’ère du numérique : quelle vérité à partager et quelles pratiques à adopter ?

octobre 21, 2018 • Articles récents, Derniers articles, Ethique et Qualité, Journalisme spécialisé, Les infos du numérique • by

Lors de la présentation des chercheurs Aissa Merah (Université de Bejaia en Algérie) et Nabila Bouchaala (Ecole de journalisme d’Alger en Algérie)

L’édition 2018 du colloque annuel du Réseau Théophraste s’est tenue à l’Université Laval au Canada, sur le thème « Les enjeux liés aux spécialisations en journalisme à l’ère du numérique ». A cours de cette édition qui a eu lieu les 10 et 11 octobre 2018, des chercheurs éminents venus des quatre coins du monde ont discuté de la propagande, de la vérité et de l’avenir de l’information, des nouvelles pratiques journalistiques et de la formation en journalisme à l’ère du numérique.

A l’époque de la vérité, en tant que ex-Directeur de Radio Free Europe basée à Prague, Thomas Kent a confirmé que sa radio défend la liberté de presse mais ceci n’a pas été toujours apprécié par tous les régimes politiques en Europe. Ce qui explique le blocage du site Internet ou le brouillage des signaux de la radio dans certains pays de l’Europe.

Il a mentionné que la radio milite contre la propagande et la propagation des fausses nouvelles devenues une arme dangereuse pour mettre les pays en conflit et toucher aux relations diplomatiques, car la propagande participe non seulement à détruire la structure des informations mais à les remplacer par des informations déstabilisantes.

Le numérique a tellement évolué au point que Thomas Kent pense qu’« il est probable de voir un jour des vidéos qui se montrent comme des vidéos réelles alors qu’elle sont fausses et que même les experts en audiovisuel ne vont pas douter de leur véracité ».

Il a ajouté que le fact-checking était une activité de base du journalisme mais la situation actuelle l’impose comme une priorité. Les médias actuels se trouvent en double mission : informer et vérifier. On arrive même à vérifier les informations déjà vérifiées.

La discussion avec Thomas Kent s’est poursuivie dans le cadre du master class organisé au profit des étudiants en mastère en journalisme international, et ce, en mettant l’accent sur des exemples concrets du quotidien américain.

Le Master Class sur le fact-checking

Thomas Kent a mentionné que les journalistes sont devenues aujourd’hui, plus populaires que leurs journaux. On peut ne pas croire le New York Times mais on peut croire les paroles d’un journaliste qui travaille pour le New York Times.

Quant aux situations des pays de conflit, Thomas Kent a mis l’accent sur le cas de la radio publique américaine NPR qui a mis en place toute une équipe pour vérifier les vidéos lors des événements du « printemps arabe » en Egypte.

Evolution de la profession du journaliste sur le marché

Henri Assogba, coordinateur scientifique du colloque et professeur agrégé à l’Université Laval

Ayant comme objet d’étude l’évolution de la profession du journaliste radiophonique  suite à la migration vers le web et l’intégration de nouveaux dispositifs sociotechniques de communication (blogs, forums, médias sociaux, etc.), Pascal Ricaud (Université de Tours en France) a confirmé qu’il s’agit aujourd’hui de spécialisations : fonctionnelle, thématique et technique, mais également d’une spécialisation éditoriale qui tend à diversifier les éléments.

Lors des entretiens menés auprès de quelques journalistes professionnels, un interviewé a confirmé que Radio Canada envoie ses journalistes en mission pour faire une couverture web sous forme de vidéos ou de photos. C’était bel et bien le cas lors de la chute du régime de Mubarek en Egypte en 2012.

A cette ère du journalisme multitâches, le chercheur a confirmé que nous assistons à la naissance d’une nouvelle figure journalistique, multiplateforme et multimédia au point que le journaliste dépasse sa fonction pour devenir le média tout entier.

Cependant, « on ne devient pleinement journaliste cross-média le plus souvent, mais on s’en accommode, on s’adapte ou apprend à adapter la vision que l’on a de son métier, de sa mission, aux contraintes techniques de production », tel que confirmé par un interviewé.

Quand à cette question de polyvalence, Amandine Degand (IHECS en Belgique) a mis l’accent sur la stratégie de recrutement des stagiaires en journalisme. Etre polyvalent pousse les étudiants à se demander la façon avec laquelle devront-ils se démarquer sur le marché du travail.

Cette recherche s’est basée sur les discussions régulières avec des étudiants quant à leurs stages, sur des lectures de rapports de stage, sur un questionnaire auprès de 102 étudiants et sur des entretiens avec des dirigeants des médias.

Les lacunes enregistrées chez les étudiants, confirmées auprès des professionnels des médias sont comme suit : l’écriture, la recherche d’informations, la culture générale et les langues. Mais le stage représente toujours une opportunité pour les étudiants afin de décrocher un poste de journaliste dans l’avenir.

Par ailleurs, les médias sociaux sont devenus une partie intégrante de tout projet médiatique au point que Sophie Gobeil (Université Laval au Canada) s’est interrogée sur la présence des médias sociaux dans le Journal du Québec. Il s’agit pour elle d’une spécialisation. La chercheure a signalé le peu de recours aux données massives, le ciblage peu précis des audiences et l’exigence d’instantanéité qui freine l’innovation.

Journalisme de données et intelligence artificielle 

Les pratiques journalistiques ont tellement évolué au point que nous avons assisté d’une part, à l’émergence du journalisme de données et d’autre part, à l’intégration de l’intelligence artificielle dans le monde du journalisme.

Lors de son intervention, Mamadou Ndiaye (CESTI au Sénégal) a mis l’accent sur le data journalisme en tant que spécialité en phase d’institutionnalisation. Au Sénégal, quatre universités ont déjà intégré un cours de journalisme de données dans leurs programmes de formation.

Ndiaye a mentionné qu’il existe au Sénégal des expériences réussies en matière de journalisme de données à savoir celle de son université qui a mis en ligne sur son site Internet une rubrique via laquelle sont publiés les travaux des étudiants.  Le Journal Le Soleil a essayé également d’intégrer ce type de journalisme dans ses pratiques.

Quant à l’intelligence artificielle, Thiery Watine et Lilly Gramaccia (Université Laval au Canada) ont confirmé que l’Intelligence artificielle (IA) a affecté le journalisme. Ils se sont demandés quelles sont les nouvelles pratiques professionnelles dans le domaine de l’information. En tenant compte donc du cadre théorique des transformations des pratiques médiatiques et journalistiques, les chercheurs ont examiné l’intégration de l’IA dans les pratiques journalistiques en 2018 et les perspectives technologiques à court terme, et ce, en lançant une collecte de données auprès de 10 participants, 5 journalistes et 5 ingénieurs et scientifiques. Ils ont constaté par la suite qu’il y a un problème de définition de l’IA, une impossibilité de prévisions sur l’image au-delà de 3 à 5 ans et une non maîtrise de l’IA par tous les journalistes.

Cependant, les chercheurs ont confirmé qu’il existe deux formes de l’intelligence artificielle : une IA forte et une IA simple. Ceci se manifeste à travers le traitement de données et la génération des articles. Ce qui rend l’intégration de l’IA dans les pratiques journalistiques une étape facile à assumer mais le seul problème sera l’appropriation technique de cette technologie. Ceci devra ainsi faire partie des formations continues accordées aux journalistes.

Les chercheurs ont rappelé également le public présent de l’expérience du robot Erika, la présentatrice du journal télévisé au Japon. Ainsi, Thierry Watine a mentionné que les robots ne remplaceront pas les journalistes mais ils vont les aider. Quant à Lilly Gramaccia, elle a ajouté que le IA ne raisonne pas alors que le journaliste raisonne.

Journalisme, marketing et économie

La question de la relation entre le marketing et le journalisme a été débattue par Marie-Eve Carignan et Alexandre Coutant (Université de Sherbrooke au Canada) en se basant sur le dépouillement des articles issus de la presse professionnelle et associative. Les chercheurs ont ainsi signalé que si le journalisme se base sur les règles éthiques et déontologiques, le marketing se base sur les trois faits : faire connaitre, faire aimer et faire agir. Mais cette approche marketing est devenue une exigeante de la part des médias.

En Algérie, avec la faiblesse de la presse spécialisée notamment dans le domaine culturel, il y a de nouvelles formes de journalisme qui sont nées avec l’évolution de la presse en ligne. Aissa  Merah (Université de Bejaia en Algérie) et Nabila Bouchaala (Ecole de journalisme d’Alger en Algérie) ont constaté que le nombre de sites d’information culturelle ainsi que le nombre des visites ont évolué.

En analysant six sites d’information culturelle (Nawefed Takafiya, Vinyculture, Catographie culturelle, Innunmiden, CultureDZ et Babzman), les auteurs ont affirmé « l’économie des médias numériques représente une aubaine pour les journalistes culturels car l’investissement dans ce segment leur semble moins contraignant que dans les médias traditionnels ».

Selon les deux chercheurs, une hybridation des compétences (webmaster, community manager, prospecteur de pub, rédacteur) a été également observée, ce qui augmente les incertitudes quant au devenir des projets. De plus, il s’agit de citoyens amateurs de la culture qui se professionnalisent. Certains amateurs ont intégré des rédactions traditionnelles pour l’acquisition des codes du métier. Il s’agit ainsi de deux missions assurées simultanément : entrepreneur et journaliste.

Enfin, les communications complètes de ces chercheurs sont disponibles sur le groupe Facebook de cette édition de colloque. L’édition 2019 aura lieu à Paris, dans le cadre du « 5th World Journalism Education Congress ».

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