La corégulation de la télévision nationale marocaine : un processus de démocratie participative inachevé

septembre 23, 2017 • Articles récents, Derniers articles, Ethique et Qualité, Media et Politique, Media et Politique • by

Crédit_Photo @SNRT

En janvier 2016, lors du séisme qui a frappé la ville d’El Hoceima (située au Nord du Maroc), les citoyens ont été fort mécontents de l’absence de la télévision nationale (SNRT) pour couvrir l’événement comme il se doit. Ce mécontentement s’est exprimé sur d’autres médias. C’est ainsi que l’étude des modalités et des répercussions de l’imputabilité de la Société Nationale de Radio et de Télévision (SNRT) publique au Maroc, a conduit Dr. Abdellatif Bensfia à soulever la question de la corégulation comme forme de démocratie participative.

En fait, selon l’auteur, la nouvelle constitution marocaine de 2011, intervenue dans le contexte du « Printemps arabe », a mis la démocratie participative à l’honneur. Ce qui explique l’intervention citoyenne dans le processus d’imputabilité de la SNRT, l’objet de l’article de Dr Abdellatif Bensfia, paru dans l’ouvrage collectif « Le cinquième pouvoir. La nouvelle imputabilité des médias envers leurs publics» dirigé par Prof. Marc François Bernier et publié par les Presses Universitaires de Laval en décembre 2016.

La SNRT, un exemple concret de corégulation ?

L’imputabilité de la SNRT se fait distinctement dans deux sphères : institutionnelle (gouvernement, Haute Autorité de la Communication Audiovisuelle et Parlement) et publique (les professionnels, les syndicats, les médias, les citoyens et la société civile). L’auteur rappelle d’ailleurs que l’imputabilité est « un processus qui engage différents acteurs (producteurs, régulateurs, bénéficiaires, etc.) d’un service en vue de son exécution, de son amélioration et de son aboutissement, adaptés et attendus selon l’intérêt du citoyen, voire de la société ».

Puis, la démocratisation d’Internet et l’accès facile aux réseaux sociaux a permis à n’importe quel citoyen de s’exprimer au sujet des produits et des contenus médiatiques, et d’exiger éventuellement des explications, souvent quant à leurs manquements ou dérives. Ainsi « l’interpellation des médias semble ne plus être l’apanage des initiés ou des professionnels seuls, elle est devenue populaire, citoyenne, instantanée et, surtout, elle s’est internationalisée ».

Aujourd’hui, de nombreux citoyens internautes marocains se sont mobilisés sur les réseaux sociaux, notamment Facebook, pour parler des contenus des émissions de la SNRT. Lors du mois de ramadan 2015, de jeunes étudiants ont créé une page Facebook, exprimant l’insatisfaction presque générale quant aux émissions de la télévision nationale, et dénonçant leur « manque de créativité et leur banalité».

En général, le citoyen marocain use plus facilement encore de son téléphone (appels ou SMS), il n’hésite pas parfois à se déplacer sur les lieux mêmes de certaines stations de radio régionales, tel que le confirme Khadija Bakkali, directrice de la radio régionale Tétouan/SNRT.  Mais aussi il se sert de son courriel pour être en contact avec le médiateur de la SNRT. D’ailleurs, les interpellations citoyennes de la SNRT, adressées au service du médiateur par les courriers électroniques, sont nombreuses et fréquentes. Le rapport 2014 du médiateur fait état de 4450 messages.

L’auteur confirme aussi que les citoyens ne réagissent pas en masse ni de la même façon aux contenus de tous les organes traitant le même sujet. Certainement, les organes de presse offrent des espaces d’expression aux internautes, mais ils définissent par la même des chartes de publication qui leur conviennent.

De même, il existe au Maroc des associations de la société civile spécialisée, qui portent la voix du public citoyen et qui défendent ses droits face aux pratiques des médias. Dr.Ben Sfia a évoqué les deux suivantes : l’Association marocaine du public de l’information et de la communication créée en 1999 et l’Association marocaine des droits des téléspectateurs, créée en 2009. L’auteur confirme que « le citoyen marocain intervient timidement dans l’interpellation des médias publics par l’entremise des organisations de la société civile ». Il a souligné aussi que les occasions de débats académiques et professionnels, organisés surtout par la société civile, ne sont pas fréquentes.

Interpellations des publics et réactions de la SNRT

Selon Abdellatif Bensfia, la SNRT ne s’ouvre pas sur certains sujets liés à la vie quotidienne des citoyens. Elle semble même « ne pas être suffisamment à l’écoute de son public et ne pas se conformer strictement aux dispositions de son cahier des charges, notamment en ce qui concerne la contribution active à la mise en application des dispositions modernes de la nouvelle constitution (2011), surtout celles qui sont liées aux libertés (article 25), à l’égalité (article 19), à la participation démocratique citoyenne et à la valorisation régionale (article 1) ».

Il ajoute que « les informations fournies par les responsables des services de la SNRT nous permettent de comprendre que la réaction de la SNRT à l’égard de son imputabilité se manifeste à travers ses organes administratifs et rédactionnels ainsi qu’à travers ses procédés d’autorégulation, à savoir les réponses de la direction juridique, les délibérations au sein du conseil de rédaction, les émissions du médiateur et sa communication directe avec le public, le comité des choix de programmes, le comité de déontologie de programme et la charte éditoriale, la direction de la communication, la cellule genre et la cellule du pluralisme ».

De même, l’auteur a mis l’accent sur l’absence d’une structure chargée de gérer l’imputabilité de la SNRT, dont les missions sont : le traitement des interpellations, la coordination et préparation des ripostes. Ainsi, chaque responsable intervient à son niveau et à sa façon, mais rien n’est visible. Puis, les services chargés actuellement de l’imputabilité de la SNRT ne sont ni outillés ni mandatés clairement pour le faire, ni même autorisés à réagir. Ajoutons que les émissions du médiateur à la télévision nationale, malgré leur importance dans la vulgarisation et la promotion de la culture médiatique, sont occasionnelles, leurs éditions sont très espacées et irrégulières.

Finalement, l’auteur confirme que « la corégulation des médias publics reste tributaire dans une large mesure de l’environnement démocratique qui garantit pour toutes les composantes de la société les mêmes droits entre les catégories sociales en matière d’information et de divertissement, et qui engage la responsabilité des médias aussi bien publics que privés à assurer au citoyen un service médiatique de qualité ». Ainsi, il semble évident de confirmer que la démocratie citoyenne et participative dont parle la nouvelle constitution marocaine ne pourra pas exister si les citoyens n’ont pas accès à l’information et s’ils ne peuvent pas exprimer librement leurs opinions au moyen de leurs médias de service public.

Notons qu’aujourd’hui, la SNRT compte huit chaînes de télévision (Al Aoula, Laâyoune TV, Arriadia, Athaqafia, Al Maghribia, Assadissa, Aflam TV, Tamazight), quatre stations de radios nationales (Al Idaâ Al Watania, Chaine Inter, Al Idaâ Al Amazighia, Radio Mohammed VI du Saint Coran) et douze stations régionales de proximité situées dans les villes (Agadir, Casablanca, Dakhla, Fès, Laâyoune, Marrakech, Meknès, Oujda, Tanger, Tétouan, El Hoceima et Ouarzazate).

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