Quand le 5e pouvoir citoyen s’intéresse au 4e pouvoir médiatique

août 4, 2017 • Articles récents, Derniers articles, Ethique et Qualité • by

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Plus que jamais, le 4e pouvoir médiatique est soumis à la critique, voire à la vindicte des citoyens qu’il est censé servir. C’est la montée en force d’un 5e pouvoir citoyen qui oblige les médias et les journalistes à être plus imputables.

Le temps où les citoyens « ordinaires » étaient contraints au silence, exclus des sphères publique et médiatique, est révolu. Leurs doléances, fondées ou non, étaient autrefois condamnées à une audience limitée: la famille, les amis, le voisinage immédiat, les collègues de travail, etc. Leur influence dans le débat public en était d’autant limitée, sinon dérisoire. Leurs critiques, formulées à l’endroit des journalistes et des médias, presque toujours vouées à l’indifférence générale.

Certes, il y avait bien ici et là des occasions d’obtenir un écho médiatique, par les tribunes téléphoniques de la radio et de la télévision, ou encore par des lettres ouvertes. Mais on sait que ces commentaires étaient triés en fonction de critères journalistiques et que des professionnels des médias électroniques jouaient un rôle de contrôleur en filtrant les appels destinés à avoir un écho à la radio et à la télévision.

Le silence médiatique imposé aux citoyens ne les empêchait nullement de cultiver critiques, rancunes et rancœurs. De nombreuses enquêtes d’opinion publique réalisées au fil des décennies ont révélé les problèmes de crédibilité et le manque de confiance d’une partie de la population à l’endroit des médias et des journalistes.

Certes, la critique externe des médias est loin d’être une pratique nouvelle, comme en témoignent bon nombre d’œuvres de fiction, allant de la littérature au cinéma, en passant par le théâtre et la chanson. De longue date, aussi, on a pu lire des essais critiques produits par des auteurs extérieurs au journalisme.

La situation a changé radicalement en à peine 20 ans. Nul doute qu’avec Internet, l’interactivité du Web 2.0, l’existence de blogues, de sites Internet et la conversation permanente que permettent les médias sociaux – quand ce n’est tout simplement pas de l’invective –, les citoyens ont fait irruption dans les débats publics. Ils y arrivent bien souvent armés de revendications qui renvoient à des normes déontologiques et des principes éthiques indéfinis, rarement explicités.

Il faut entendre la notion d’imputabilité dans son acception anglo-saxonne (accountability) qui renvoie à une reddition de comptes, à une justification eu égard au respect, ou non, de certaines responsabilités. C’est le moment où, volontairement ou non, on évalue les comportements des journalistes à l’aune de leurs responsabilités déontologiques, afin d’évaluer le respect de ces dernières, ou de constater d’éventuelles transgressions.

Bon nombre d’observateurs, de professionnels et de chercheurs spécialisés en médias et en journalisme ne cessent de faire part de la montée en puissance des citoyens comme sources plus ou moins influentes auprès de leurs concitoyens, comme générateurs de contenus médiatiques, comme journalistes citoyens et comme prescripteurs des conduites journalistiques. Cette critique accrue et constante ne se limite pas aux médias et aux pratiques journalistiques, elle s’étend aux élites politiques, économiques, religieuses ou autres.

Plus que jamais, des citoyens peuvent prendre la parole plutôt que de simplement écouter ceux qui, de longue date, assuraient parler en leur nom. Il serait abusif de soutenir que cette possibilité est offerte à tous, en raison de l’existence de facteurs d’exclusion tels le revenu, l’âge, le niveau d’instruction, la classe sociale, le genre, etc. Il n’en demeure pas moins que l’accès à la sphère publique est plus aisé que jamais, ce qui ne garantit nullement d’être entendu de tous.

Avec Internet, la critique des médias s’est démocratisée, du moins dans l’acception égalitariste qu’on peut en avoir. Elle peut échapper aux règles de filtrage et de modération des médias, être propagée de façon virale et réactive sur Twitter, s’exprimer de façon plus compréhensive sur les blogues et Facebook, etc.

On y retrouvera bien entendu une parole profane, émotive, partiale, de mauvaise foi même. Mais elle va côtoyer une parole experte, documentée, non complaisante sans être hostile. Les médias et les journalistes sont contraints d’être à l’écoute, ne serait-ce que pour mieux expliquer et justifier leur travail, pour reconnaître leurs errements et s’en excuser le cas échéant.

Cette nouvelle forme d’imputabilité journalistique, contrairement aux dispositifs traditionnels (ombudsman, conseils de presse, médiateurs, etc.), est à la fois directe et dispersée, radicale et erratique, spontanée et virale, experte et profane. En dépit de ses carences, elle s’impose aux médias et à leurs journalistes. Les citoyens, bien qu’ils interviennent de l’extérieur des organisations médiatiques, sont ainsi les acteurs d’une nouvelle forme de corégulation médiatique, dans la mesure où leurs propos sont pris en considération par les acteurs médiatiques.

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Lire aussi «  Les médias arabes soumis à la surveillance de leurs publics »

Consulter Bernier M.F. (sous la direction de), « Le cinquième pouvoir. La nouvelle imputabilité des médias envers leurs publics », Presses Universitaires de Laval, déc. 2016.

 

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