Le cadre juridique des médias libyens est actuellement incohérent et parfois contradictoire. Les textes contiennent de nombreuses dispositions qui accordent à l’État libyen trop de pouvoir discrétionnaire pour limiter et criminaliser l’expression, a révélé le rapport élaboré par International Media Support & Vigilance sur « la liberté d’expression dans le Maghreb : tension entre les lois et les pratiques judiciaires ».
Selon ce rapport, il est urgent que l’État libyen modifie ou abroge les lois existantes qui restreignent l’expression d’une manière incompatible avec la Déclaration constitutionnelle de 2011 et avec les obligations internationales de la Libye en matière de droits de l’homme.
Malgré les espoirs initiaux qui ont suivi le soulèvement de 2011, la liberté d’expression reste, selon ce rapport, précaires en Libye. L’accès aux protections juridiques garantissant les droits de l’homme, reste problématique pour les citoyens.
Bien que la Déclaration constitutionnelle offre une protection de principe, les droits qu’elle garantit ont été de plus en plus négligés. Des lois draconiennes telle que la Loi sur les publications (Code de la presse), que l’on croyait abrogée, sont de nouveau utilisées pour interdire la vente de livres. En plus de l’utilisation des lois d’avant 2011, les gouvernements de transition ont introduit à plusieurs reprises de nouvelles mesures qui entravent et criminalisent l’expression, en particulier celle qui critique les autorités.
En outre, malgré les appels répétés du secteur des médias naissant en Libye, les projets actuels de la future constitution continuent à permettre la régulation des médias par le gouvernement central.
Un cadre législatif répressif qui date de bien avant 2011
La plupart des textes législatifs libyens en vigueur datent de bien avant 2011, début des mouvements de protestation dans le monde arabe.
Le Code pénal libyen criminalise diverses formes d’expression d’une manière qui est en grande partie incompatible avec les obligations internationales de la Libye en matière de droits de l’homme et avec la Déclaration constitutionnelle libyenne. Sont ainsi sévèrement sanctionnés ceux qui: « insultent les fonctionnaires, la nation libyenne ou le drapeau libyen, initient une guerre civile dans le pays, fragmentent l’unité nationale ou provoquent la discorde … » . Le Code pénal libyen leur impose de lourdes peines qui vont jusqu’à la peine de mort.
La loi sur les publications limite également l’expression et ne permet que des publications licites considérées comme «conformes aux principes, valeurs et objectifs de la société» . Cela favorisait un contrôle étatique strict des médias en Libye.
Sur un autre plan, la «Loi sur la promotion de la liberté» a été officiellement adoptée pour fournir une interprétation interne des obligations civiles et politiques de la Libye en matière de droits de l’homme en vertu du droit international. À l’article 8, cette loi codifie le droit des citoyens libyens à exprimer leurs opinions et leurs idées dans les congrès populaires et les médias. En tant que tel, il s’agit d’une reconnaissance limitée du droit à l’expression, habilitant une catégorie particulière d’individus (citoyens) dans un nombre limité d’espaces (congrès populaires / médias).
Après 2011, la situation n’a pas beaucoup changé, estime ce rapport. En plus de la déclaration constitutionnelle de 2011, le contexte juridique libyen a vu « naitre » de nouvelles lois renforçant, soit disant, la liberté d’expression et des médias.
En effet, la Déclaration constitutionnelle stipule que l’expression sera garantie conformément à la loi 67. Toutefois, elle ne limite pas explicitement les exceptions à la liberté d’expression à la poursuite d’un but ou d’une nécessité légitime, comme l’exige le droit international.
En plus de la déclaration constitutionnelle, le décret 15/2012, à titre d’exemple, a interdit toute discussion sur les recommandations religieuses (fatwas) diffusées par le Conseil national de la jurisprudence islamique (Dar Al-Iftaa). Le décret n’a cependant pas été appliqué et a été largement ignoré par les médias. La Résolution 13/2012 a, pour sa part, aboli le Conseil supérieur des médias, créé en 2012 et considéré comme manquant d’indépendance et n’ayant pas réussi à protéger la diversité des médias. Un ministère des médias a été créé à sa place.
Pour remédier à cette situation, le rapport a élaboré 4 recommandations pour un meilleur cadre législatif:
*Toute restriction légale aux activités des professionnels des médias doit avoir une portée spécifique, répondre à un but légitime et être considérée comme nécessaire au respect des droits ou de la réputation d’autrui ou à la protection de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la morale publiques. Par conséquent, les limitations existantes – telles que le Décret 5/2014 ou la Loi 5/2014 qui autorisent arbitrairement l’Etat à restreindre les activités médiatiques au motif qu’elles ne sont pas «conformes aux principes de la révolution», « hostile à la révolution du 17 février », ou peut « nuire ou porter préjudice à la Révolution du 17 février » – doit être abolies. En outre, les limitations enfreignant les principes juridiques internationaux ayant un but et une nécessité légitimes, telle que la loi 15/2012 qui interdit la discussion des fatwas émises par l’instance religieuse « Dar Al-Iftaa », doivent également être abolies.
*L’État doit assurer la diversité des médias en créant une instance de régulation indépendante, libre de toute influence politique, économique ou autre. Cette instance doit œuvrer pour mettre fin aux discours de haine et à la polarisation des médias en favorisant un débat riche et représentatif afin que les médias puissent remplir leur rôle en toute responsabilité et transparence. De plus, il ne devrait pas y avoir de système de licence ou d’enregistrement pour les médias comme il ne devrait pas y avoir de licence pour les journalistes individuels ni de conditions d’accès à l’exercice de la profession.
*L’État doit prendre des mesures actives pour protéger le droit des journalistes, des militants et des médias à bien mener leur travail et à mettre fin à l’autocensure et au déficit de pluralisme résultant de l’environnement hostile. En particulier, l’État doit œuvrer pour mettre fin à l’impunité avec laquelle sont menées les attaques contre les professionnels des médias, en enquêtant, en exigeant des comptes et en veillant à ce que les victimes et leurs familles disposent de recours contre de tels crimes.
*La future constitution doit fournir un cadre pour les libertés d’expression, d’information, d’association et de réunion ainsi que pour les médias. Elle doit garantir et encourager les médias pluralistes. Elle doit interdire la censure préalable et veiller à ce que toute limitation légale à ces droits et aux activités des professionnels des médias soit conforme aux objectifs légitimes inscrits dans les conventions internationales ratifiées par la Libye. La nouvelle constitution doit également mettre en place les bases d’une autorégulation indépendante des médias.
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