« L’ingérence soutenue de l’État dans le secteur des médias nationaux et ses perspectives économiques empêche l’institutionnalisation d’un véritable pluralisme», dévoile le rapport intitulé « les médias nationaux algériens : la liberté à un prix », élaboré par Fatima el-Issawi, chercheuse au LSE Middle East Centre (London School of Economics and Political Science).
Publié en février 2017, ce rapport fait partie du projet « Médias nationaux arabes et politique: la démocratie revisitée », examinant la relation entre les médias de masse traditionnels et la sphère politique dans le cadre des changements politiques secouant le monde arabe.
Il se base sur une série d’environ 30 entrevues qualitatives approfondies réalisées avec des journalistes et des acteurs médiatiques en Algérie, ainsi que sur une analyse de la réglementation des médias et des études de cas individuelles. Ce rapport examine le rôle joué par les médias nationaux – radio, télévision et presse écrite – dans l’élargissement ou la restriction du débat public dans le cadre d’un système autoritaire concurrentiel.
Le rapport se résume autour de 9 conclusions principales :
-L’ouverture du secteur de la diffusion à la propriété privée ne fournit qu’une façade de pluralisme, tout en consolidant la standardisation du contenu et des structures médiatiques.
-L’utilisation par le régime du secteur de la radiodiffusion privée comme plate-forme de messagerie politique sans cadre réglementaire indépendant renforce l’uniformité du contenu et le contrôle en appliquant des obligations normatives «nationales» de « traitement médiatique positif ».
– Le monopole de l’État sur la publicité publique est un outil puissant pour affaiblir la viabilité économique de la presse critique. La pression sur les annonceurs privés de retirer leur soutien financier aux médias critiques est alarmante.
-L’évolution de la réforme des médias vers l’institutionnalisation des droits et libertés des médias est positive. Cependant, il existe de nombreuses exceptions à ces droits dans des règles juridiques vagues.
– Le recours fréquent aux poursuites judiciaires contre les journalistes et les médias élimine les ressources financières et délimite la presse critique, agissant ainsi comme une arme de dissuasion puissante contre toute expression de dissidence. Les cas d’emprisonnement fréquents liés à l’expression de la dissidence sur les médias sociaux sont en contradiction avec la nouvelle constitution qui a aboli les peines de prison pour les journalistes et a reconnu la liberté d’expression.
– Le manque d’accès à l’information officielle est un puissant obstacle aux rapports indépendants.
-Les traditions de l’autocensure ancrées chez les journalistes – sous le couvert de la protection de la stabilité du pays – sont encore renforcées par le manque de moyens pratiques d’accès à l’information.
– Les médias nationaux algériens doivent encore répondre aux défis posés par les développements récents dans l’industrie des médias et investir dans une formation professionnelle adéquate pour les journalistes, en particulier les jeunes. Les traditions du journalisme d’opinion survivent parallèlement aux tendances populistes prospères défendues par les nouveaux médias, qui sont largement fidèles au régime et consolident le journalisme « lapdog ». Un débat sur la définition des normes professionnelles est aussi important que la réforme des organismes journalistiques chargés de protéger les droits des journalistes. Les journalistes algériens doivent retrouver la confiance et le respect du public, car leur légitimité est actuellement en jeu.
– Les médias nationaux indépendants sont assiégés par une combinaison de restrictions réglementaires, judiciaires et financières qui rendent leur avenir incertain. L’augmentation de la pression sur les médias critiques après l’élection du président Bouteflika pour son quatrième mandat porte sur la volonté réelle du gouvernement de mettre en œuvre une réforme médiatique efficace et inclusive.
La pression exercée sur les médias nationaux algériens a augmenté ces dernières années, avec des tensions sociales, économiques et politiques accrues et un grand niveau d’intolérance vis-à-vis des rapports critiques. Ceci dit, la liberté des médias en Algérie est à la fois réelle et illusoire. Elle existe tant que les journalistes ont le courage de la pratiquer, de payer le lourd prix qui l’accompagne et de renoncer aux nombreux avantages qui peuvent être gagnés en courtisant le pouvoir. « Elle est confinée dans l’espace étroit entre la pression exercée par le régime et l’habileté des tactiques de survie utilisées par ceux qui veulent résister », affirme Issawi.
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Crédit photo @frle360
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