Bien que le Yémen ait été considéré autrefois comme « le pays heureux », il occupe aujourd’hui un rang peu enviable dans la liste des « pires pays au monde », selon le dernier classement du Rapport du bonheur mondial, publié par les Nations Unies. Le rapport s’appuie sur des critères d’évaluation spécifiques tels que le PIB par habitant, l’assistance sociale, l’espérance de vie, le niveau de corruption et la liberté sociale.
Ceci est justifié par la situation critique que vit le Yémen, l’un des pays les plus pauvres du monde, qui a toujours souffert de conflits et de guerres qui menacent sa stabilité :
— La guerre avec les rebelles Houthi, qui a débuté en 2004,
— La présence du mouvement sécessionniste « Al-Haraka Al-Infissalia » dans le sud du Yémen,
— La présence des éléments d’Al-Qaïda dans certaines villes du pays,
— Les changements qui résultent du déclenchement de la révolution en 2011,
— Les opérations militaires lancées à grande échelle par l’Arabie Saoudite et ses alliés,
— Les attaques terroristes ayant lieu dans différents coins du pays par certaines cellules fidèles à l’Organisation de l’État Islamique.
Certes, les valeurs de la démocratie ne sont pas respectées dans tous les pays, en particulier dans les pays du tiers monde, même dans ceux dotés d’un système républicain comme le Yémen, l’Égypte, la Syrie, l’Irak et l’Iran. En outre, la situation au Moyen-Orient et en Afrique du Nord est généralement instable et au Yémen en particulier.
Quand les reporters deviennent des cibles
La situation des journalistes et des correspondants au Yémen est la pire au monde. Elle peut être désignée par un seul mot : « chaos », depuis que le « printemps arabe » a secoué de nombreux régimes arabes. Pour cette raison, le rôle des journalistes dans la transmission de l’information devient plus difficile : les journalistes se trouvent dans une position où ils doivent faire face à des parties qui ne respectent ni la démocratie et les droits humains, ni le droit fondamental des citoyens à vivre en sécurité. Sans parler du déni du droit à une opinion différente, largement violé dans ces pays.
Dans un pays comme le Yémen où les droits fondamentaux de l’homme sont violés, les correspondants de guerre exposent constamment leur vie au danger. Ils transmettent des informations à partir des lignes de front et subissent toujours des pressions. Cela peut affecter l’équilibre et la neutralité de leur couverture des événements et parfois ils sont obligés d’abandonner les règles des bonnes pratiques journalistiques et de transmettre seulement ce que les parties leur permettent de raconter.
Beaucoup de journalistes se sont trouvés incapables d’abandonner leurs devoirs envers la société. Les correspondants de guerre au Moyen-Orient et en Afrique du Nord qui acceptent les risques encourent des sanctions, des menaces et des restrictions de la part des parties belligérantes, qui tendent à divers degrés à influencer et à contrôler le travail des journalistes.
Ces journalistes sont devenus la cible d’attaques de la part des parties impliquées dans le conflit ou délibérément exclues de la scène, quels que soient les acteurs politiques impliqués dans cette affaire. De nombreux journalistes ont été obligés de quitter le pays et d’autres ont été tués, comme par exemple Jamal Al Sharabi. Un autre journaliste, Mohammed Al Abssi, a été également tué suite à une enquête de presse qu’il a menée, dans laquelle il a tenté de montrer la gravité de la corruption dans le pays. De plus, 41 journalistes ont été pris en otage.
« Il s’avère difficile d’oublier les scènes de mort, et leur effet ne se produit pas immédiatement, mais plutôt au fil des années »
D’après nos entretiens menés auprès de huit journalistes qui représentent neuf médias différents, l’un des principaux critères de sélection des sources d’information pour eux était leur crédibilité et donc nous avions confiance en leur capacité de fournir des informations précises.
En ce qui concerne les pressions et les restrictions, tous les journalistes interrogés ont confirmé qu’ils souffrent de pressions psychologiques (pour avoir supporté la guerre), de pressions physiques à un degré inférieur (menace de mort), et de pressions d’ordre technique (transmission instantanée des informations). Un journaliste travaillant pour une chaîne internationale nous a confié : « Certes, il s’avère difficile d’oublier les scènes de mort, et leur effet ne se produit pas immédiatement, mais plutôt au fil des années. »
En ce qui concerne la collecte des données, ces correspondants dépendent fortement des sources gouvernementales, des institutions militaires, des représentants des autorités militaires, des témoins oculaires, des médias et d’Internet. Les journalistes que nous avons interviewés ont également reçu des informations qui n’étaient pas disponibles pour publication. La majorité des journalistes ont confirmé qu’ils avaient commis des erreurs en diffusant des informations incorrectes reçues de la part des sources sans les avoir vérifiées.
Un journaliste qui travaille également pour une chaîne internationale a déclaré :
« Chaque personne des parties impliquées dans le conflit essaye de guider le journaliste vers sa version. […] En fin de compte, il ne peut pas y avoir un consensus ou un accord sur le champ vu que les faits ont lieu sur les zones de conflit affectant l’une des côtés, et la presse ne peut pas rester indifférente. Cela ne veut pas dire qu’il faut adopter une position agressive contre l’une des parties, mais il faut s’en tenir à la recherche de la vérité, laquelle n’est favorable à aucun d’entre eux. »
« J’ai été kidnappé et le kidnapping reflète la valeur du journaliste »
Tous les journalistes ont déclaré avoir été exposés à des dangers physiques (attaques, tirs, embuscades, roquettes, voitures piégées, enlèvements, etc.) et à des risques généraux tels que l’absence d’armure, l’insécurité personnelle, et le paiement pour une protection personnelle et une escorte militaire.
Un journaliste, qui travaille également pour une chaîne internationale, a déclaré:
« J’ai été kidnappé, et le kidnapping reflète la valeur du journaliste et le fait que certains partis n’apprécient pas sa présence, alors elles essayent de le faire taire ou de lui faire peur. »
Certains correspondants ont confirmé qu’à cause de l’autorité militaire contrôlant le terrain à partir duquel les journalistes transmettent les informations, la couverture médiatique est affectée. Par conséquent, ils expriment souvent les opinions d’une seule partie impliquée dans le conflit. Un journaliste pour un site local a ainsi confirmé :
« J’ai subi beaucoup de pressions de la part des Houthis. J’ai été arrêté et je ne suis pas autorisé à avoir accès à la zone qui est sous leur contrôle. En ce qui concerne les autres parties, je n’ai pas subi de pression, peut-être parce que je les soutenais. »
La protection des journalistes sur les lignes de front des conflits est considérée dangereuse et elle n’est jamais garantie. Un ancien journaliste, qui est déjà à la retraite, a révélé:
« Il n’y a pas de protection ou de garantie, mais c’est une tentative d’une aventure calculée, c’est-à-dire, tu peux obtenir le maximum de garanties, mais le danger existe à chaque pas. »
Certains reporters ne sont pas objectifs ou pratiquent l’autocontrôle à cause du sentiment de patriotisme
Notre étude a conclu que les différentes parties impliquées dans le conflit tentent constamment d’influencer les correspondants afin de couvrir les événements de manière à ce que leurs productions soient en accord avec leurs intérêts. Il se peut que la situation géopolitique dans laquelle se trouve le journaliste ait un impact majeur sur la prise de décision en ce qui concerne les risques possibles lors de sa couverture des événements et de la transmission des informations à partir du terrain de guerre. Le fait d’être ce terrain a des effets psychologiques qui pourront accompagner le journaliste à vie, même si certains cas pourront avoir un effet tardif. En outre, certains reporters ne sont pas objectifs ou pratiquent l’autocontrôle à cause du sentiment de patriotisme.
Les reporters arabes interrogés sont prudents quand la discussion porte sur les restrictions auxquelles ils sont confrontés au cours de leur travail quotidien. Le comportement de contrôle et de réservation de l’information découle d’un sentiment d’autoprotection.
A cause du patriotisme et des sentiments de souffrance pendant la guerre, certains correspondants ne sont pas neutres dans leur couverture et deviennent supporteurs de l’une des parties. Un journaliste a confirmé ceci sur une chaîne internationale, en disant :
« Il est difficile d’être neutre. Parfois, je n’ai pas pu m’empêcher et je pleurais, après avoir été psychologiquement touché par les faits. Ainsi, il est très difficile de parler de la neutralité dans ce cadre qui transmet les souffrances humanitaires. Le reporter n’a pas la possibilité de transmettre les informations des deux côtés et risque ainsi de devenir un supporteur de l’une des parties, à cause de l’endroit où il se trouve pendant l’événement ».
Le métier du journaliste est considéré par ces correspondants interviewés au dessus de toutes les contraintes et les pressions. Ensuite, le fait d’accorder une importance à un métier créatif rend votre vie passionnante, vous permet de combattre les risques pour connaître la vérité, et de gagner un poste prestigieux. Ce sont les raisons pour lesquelles, ces correspondent continuent à exercer ce métier. Le travail du correspondant de guerre est risqué et le journaliste risque toujours dans ce cadre de perde sa vie. Il doit donc être psychologiquement préparé à toute éventualité. Sur les terrains de guerre, les normes humanitaires ou morales ne sont pas prises en considération, même pour les personnes neutres comme les journalistes.
Remarque : Cet article a été publié la première fois sur le site de EJO (Roumanie). Il est traduit par Nouha Belaid