La gouvernance publique des médias y compris des médias arabes en période de transition démocratique, a été la thématique du dernier colloque de l’Institut de Presse et des Sciences de l’Information en Tunisie. De nombreux chercheurs tunisiens et étrangers, et des acteurs du domaine des médias à l’échelle internationale, ont marqué leur présence afin de mettre l’accent sur deux volets : 1/rôle de la société civile dans la gouvernance publique des médias, 2 /contexte politique et gouvernance publique des médias.
Lors du lancement du colloque, Professeur Abdelkrim Hizaoui (Coordinateur scientifique du colloque) a signalé que cette rencontre scientifique remet en équation le rôle de l’Etat en matière du droit du citoyen à l’information. Ce droit a été d’ailleurs mentionné dans les nouvelles constitutions de certains pays arabes, à savoir le Maroc en 2011, l’Egypte et la Tunisie en 2014 et l’Algérie en 2016. Selon Professeur Hizaoui, ce colloque est également l’occasion d’étudier et de comparer les politiques publiques en matière de gouvernance du secteur public du domaine de l’information et de la communication, ainsi que les modes d’appui à ces médias et les systèmes de régulation.
Les organisations internationales acteurs de la réforme des médias arabes
Partout dans le monde, la réforme du domaine des médias a toujours été un processus participatif auquel les organisations de la société civile ont pris part.
De son côté, M. Nejib Mokni (UNESCO Tunis) a rappelé le public présent à ce colloque, le rôle de l’UNESCO en tant qu’un acteur actif dans le secteur de l’information et de la communication. Cette organisation internationale vise à promouvoir la circulation de l’information et à garantir le pluralisme médiatique. Déjà, des études menées par l’UNESCO et publiées en arabe en français ont été effectuées afin de promouvoir les médias dans certains pays arabes à savoir: en Palestine, en Jordanie, en Egypte, en Tunisie et au Maroc. Il a également ajouté que l’UNESCO a participé aux réformes médiatiques que la Tunisie a vécues depuis le déclenchement du « printemps arabe », notamment au niveau de la mise en place de nombreux textes de lois. En ce qui concerne l’accès à l’information notamment aux documents administratifs, M. Nejib Mokni a rappelé que la loi organique relative au droit d’accès à l’information, met la Tunisie en avance par rapport à d’autres pays arabes.
Intervenant à ce colloque, M. Pierre-François Docquir (Article 19 – Londres) a signalé que le bureau de Article 19 en Tunisie est en train de préparer une cartographie sur les aides publiques au secteur des médias en Tunisie.
Il a ajouté également que les aides publiques devraient être au service de l’un des objectifs suivants : la protection et la promotion du pluralisme et de la diversité médiatique, le soutien au journalisme d’investigation et à la fiabilité de l’information et le respect et la promotion de la déontologie journalistique. C’est la raison pour laquelle un cadre législatif relatif aux aides publiques devrait être mis en place.
La relation « Etat-Médias » dans les pays arabes
Si Joan Barata Mir (universitaire et expert OSCE) a mentionné que tous les ministres y compris les dictateurs, partout dans le monde, ont toujours pris une position en faveur de la liberté d’opinion, Professeur Ahmed Hidass (ISIC, Rabat) considère que le financement des médias par l’Etat au Maroc est une perte d’argent.
Quant à Yomna Med Atef Abdennaim (Université d’Assiout, Egypte), elle a confirmé que la scène médiatique en Egypte a vécu une réforme bien qu’elle soit soumise au contrôle de l’Etat.
Selon cette chercheure, bien que les textes de loi existent afin de garantir la liberté de presse, la relation conflictuelle entre l’Etat et les journalistes a toujours existé en Egypte, contrairement à ce qui se passe dans les pays démocratiques.
Elle a ajouté que les médias en Egypte ont été soumis à la loi 13 de 1979 mais depuis le déclenchement du « printemps arabe », on s’attendait à une libéralisation de presse. Cependant, les médias tenaient à assurer la propagande du régime gouvernemental.
En 2017, la scène médiatique égyptienne a vécu une réforme à travers la mise en place :
— D’un cadre législatif qui organise le fonctionnement des médias privés. Aucun texte juridique qui concerne les médias privés n’existait avant 2017.
— D’un texte de loi qui concerne l’organisation administrative et qui appelle à la création de trois instances indépendantes. Ce texte de loi traite la culture administrative des médias et non des pratiques médiatiques. Les critères professionnels sont ainsi absents du texte juridique.
Dr .Yomna Med Atef Abdennaim a d’ailleurs mentionné que ce texte loi a des points forts :
— Il appelle à la création des instances indépendantes chargées de donner leurs avis sur les textes législatifs relatifs au domaine des médias
— Il est en accord avec la culture, celle de l’indépendance des médias et du pluralisme médiatique.
— Il a mis fin au Ministère de l’information
Cependant, certains points faibles se manifestent :
— La sélection des membres de ces instances est remise en question étant donné que le choix des 13 membres est fait par des institutions qui sont en relation étroite avec l’Etat. Donc ces nominations sont indirectement faites par le Président du pays.
— Certains concepts mentionnés dans ce texte-loi mettent en question l’indépendance de ces instances.
Bien que Dr. Yomna Med Atef Abdennaim ait mentionné que l’Etat égyptien cherche à développer la scène médiatique, Professeur Belkacem Mostefaoui (ENSJI, Alger) croit qu’il s’agit bel et bien d’une comédie qui se joue dans les pays autoritaires y compris l’Algérie, là ou les gouvernements sont capables de faire des « montages juridiques ».
Selon Professeur Mostefaoui, bien que l’article 58 de la loi sur les activités de l’audiovisuel de mars 2014 a mentionné la nomination de neuf membres d’une haute autorité indépendante, aucune nouveauté de cette autorité a été annoncée depuis son lancement.
En Tunisie, selon Dr Mohamed Gontara, l’Etat tunisien soutenait les médias notamment les médias régionaux que se soit à travers l’aide publique ou à travers les formations organisées par le Centre Africain du Perfectionnement des Journalistes (CAPJC). Cependant, ceci a été suspendu après le 14 janvier 2011.
En mars 2012, un décret loi a été publié, appelant à l’annulation des abonnements aux périodiques. Bien qu’en mars 2014 et en juillet 2016, un autre décret loi ait été publié pour revenir à la situation qui précède la révolution, rien n’a été pris en considération par l’Etat.
Par la suite, l’intervenant a confirmé que la culture de l’Etat s’absente en Tunisie étant donné que les Tunisiens ne font pas la différence entre l’Etat, le gouverneur et le gouvernement.
Prenons le cas de la Grande Bretagne là où il existe un secrétariat d’aide aux médias, il conclut son intervention par dire qu’il n’est pas possible d’exclure l’Etat de son rôle d’appui financier aux médias.
Quant à Hassan Zargouni (Directeur de Sigma Conseil), il a confirmé que la télévision a toujours profité des recettes publicitaires. Par contre, l’investissement publicitaire dans les journaux écrit a diminué ces sept dernières années (après le 14 janvier 2011). Il s’agit d’ailleurs de 23 400 annonces / année, à savoir 31% des recettes publicitaires qui proviennent des institutions publiques et 69% des recettes qui proviennent des institutions privées
Dans ce cadre, Dr. Arwa Kooli (enseignante à l’IPSI) a présenté l’expérience de la télévision publique, ce média indépendant qui travaille à but non lucratif. En tenant compte des critères de l’UNESCO, la chercheure a confirmé que la télévision tunisienne publique n’est pas un média de service public, pour plusieurs raisons : absence des programmes éducatifs, nominations des directeurs de la télévision faites par la Présidence et le non recours aux autorités indépendantes, l’usage du dialecte tunisien lors de certaines émissions politiques, l’absence d’équité au niveau du choix du public auxquels sont destinés les programmes, etc.
Toutes ces interventions confirment que la relation entre l’Etat et les médias dans le monde arabe est une relation de conflit permanent. Ce qui appelle les hommes politiques au Gouvernement à saisir qu’ils sont provisoires et qu’ils feront partie demain de l’opposition, tel qu’il a été confirmé par M. Joan Barata (universitaire et expert OSCE).
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