Liberté d’expression non filtrée: comment le blocage et le filtrage affectent la liberté d’expression

août 31, 2017 • Articles récents, Derniers articles, Liberté de presse et censure, Media et Politique, Media et Politique • by

Entre les libertés et droits de l’Homme et la nécessité de filtrer le flux énorme d’informations et de matières « illégales » sur internet, les ONG se trouvent devant le défis de chercher un équilibre qui permet de filtrer les contenus nuisibles de certains sites sans porter atteinte au droit d’accès à l’information des internautes.

Dans son rapport intitulé « Liberté d’expression non filtrée: comment le blocage et le filtrage affectent la liberté d’expression », l’organisation britannique « ARTICLE 19 » mesure le degré de compatibilité du blocage et / ou du filtrage des contenus en ligne avec les normes internationales en matière de droits de l’Homme, en particulier le droit à la liberté d’expression.

Le blocage / filtrage est parfois présenté comme un remède à divers problèmes sociaux, comme les images d’abus sexuels, la pornographie, la violation de la propriété intellectuelle, la violation de la vie privée, la diffamation, les jeux de hasard illégaux, les « discours de haine », le terrorisme ou les autres menaces à la sécurité nationale. Généralement, il vise à empêcher les utilisateurs à accéder à certains types de contenus pour les protéger (Exemple : Images d’abus sexuel pour enfants) ou protéger une tierce personne (Exemple : Violation de la vie privée). Ils visent également à empêcher les utilisateurs de télécharger des documents illégaux tels les sites Web «pirates et de commettre une infraction ( Exemple : accéder à des images d’abus sexuel pour enfants). En ce sens, le blocage / filtrage peut être encadré comme mesure de « combat et de réduction de la criminalité ».

Néanmoins, selon ARTICLE 19, le blocage / filtrage est disproportionné en vertu du droit international des droits de l’Homme pour plusieurs raisons dont notamment :

-« Sur-blocage » (False positives) : aucun système ne peut garantir que le contenu légitime n’est pas limité à tort. En particulier,  les sites réguliers qui risquent d’être bloqués car ils utilisent la même adresse IP que d’autres sites « illégaux ».

-« Sous-blocage » (False negatives) : inversement, les sites contenant du contenu illégal ou ciblé pourraient ne pas être détectés par le système de blocage / filtrage. Ceci est particulièrement problématique dans le cas de la protection en ligne de l’enfance car les parents vivent un faux sentiment de sécurité croyant que les mesures de blocage du Web sont en place.

– Echec dans le traitement des causes profondes: le blocage / filtrage n’aborde pas les causes profondes du problème particulier en cause et ne remplace pas l’application de la loi et la poursuite des crimes graves commis sur Internet.

-Violation des droits de l’homme: les stratégies de blocage / filtrage granulaire sont profondément intrusives au droit des utilisateurs à la vie privée et à la liberté d’expression lorsqu’elles analysent le contenu du matériel échangé entre les utilisateurs.

-Interférence avec l’infrastructure Internet: le blocage / filtrage interfère avec plusieurs éléments critiques de l’infrastructure et de la conception d’Internet et entraîne un ralentissement de la vitesse du trafic et augmente les charges financières des intermédiaires de l’Internet.

Filtrage volontaire

Malheureusement, les gouvernements décident souvent que le blocage / filtrage devrait être appliqué indépendamment du manque d’efficacité de ces mesures. Lorsque tel est le cas, la question clé devient la façon dont le blocage et le filtrage sont mis en œuvre et plus précisément le fait que ces mesures soient prévues par la loi.

En outre, parce que les gouvernements sont interdits d’imposer un filtrage global dans certains pays, ils ont cherché à encourager les intermédiaires à «coopérer» avec eux ou d’autres parties-prenantes dans la lutte contre le contenu jugé illégal ou nuisible. Dans certains pays, ils ont exercé une pression sur les fournisseurs d’accès à Internet (FAI) pour installer des filtres par défaut sur la connexion Internet de leurs clients, qui peuvent ensuite demander de supprimer les filtres.

Selon ARTICLE 19, ce système est profondément problématique pour plusieurs raisons dont notamment:

-Compte tenu du temps que pourrait prendre le fait de contacter les FAI pour demander un retrait, beaucoup de gens risquent de garder ces filtres.

-Ni les catégories de contenu filtré ni la manière dont les catégories sont appliquées dans des cas individuels ne sont transparentes pour l’utilisateur final.

-Potentiellement, des milliers de sites Web sont bloqués car ils relèvent de l’une des catégories de contenu dangereux mis en place par les FAI.

– Les sites Web réguliers qui sont filtrés ne sont pas informés que leur contenu pourrait être filtré.

Cinq recommandations  d’Article 19 :

Pour remédier aux menaces de restrictions des libertés d’information et d’accès à l’information et filtrer, à la fois, les informations nuisibles, Article 19 a élaboré 5 recommandations :

  • le filtrage général doit être interdit par la loi : Les intermédiaires Internet ne devraient jamais être tenus de surveiller leurs réseaux de manière proactive afin de détecter les éventuels contenus illégaux. Le filtrage général devrait être explicitement interdit par la loi.
  • Le filtrage doit être contrôlé par l’utilisateur et transparent : Le filtrage devrait être contrôlé par l’utilisateur et non imposé par les gouvernements ou les intermédiaires Internet. Les utilisateurs qui ne souhaitent pas être exposés à certains types de contenu devraient être libres de décider eux-mêmes de ne pas y accéder sans restreindre la capacité des autres à accéder au même contenu.
  • Toute obligation de bloquer le contenu illégal doit être prévue par la loi : Le blocage est une interférence disproportionnée avec le droit à la liberté d’expression. Toutefois, dans la mesure où les gouvernements cherchent à imposer des mesures de blocage, une telle mesure doit être prévue par la loi. En outre, le blocage ne devrait être autorisé qu’en ce qui concerne le contenu qui est illégal ou peut être légitimement restreint selon les normes internationales relatives à la liberté d’expression.
  • Le blocage ne doit être autorisé que par un tribunal ou un organe juridictionnel indépendant et impartial : Dans la mesure où le contrôle peut déjà être autorisé par la loi, cette mesure ne devrait être imposée que par les tribunaux ou par d’autres organes juridictionnels indépendants. Par ailleurs, pour que les décisions de blocage soient totalement compatibles avec les normes internationales relatives aux droits de l’homme, des garanties procédurales devraient être mises en place.

Par exemple, lorsqu’une autorité publique ou un tiers demande une ordonnance de blocage, les FAI ou d’autres intermédiaires Internet pertinents doivent avoir la possibilité d’être entendus pour contester la demande.

  • Les ordres de blocage doivent être strictement proportionnels au but poursuivi : Toute commande visant à bloquer l’accès au contenu devrait être limitée et strictement proportionnelle au but légitime poursuivi. Toute commande de blocage devrait être aussi étroitement ciblée que possible. Les tribunaux doivent vérifier si l’ordre de blocage est le moyen le moins restrictif disponible pour faire face à l’activité illégale présumée. Ils doivent même, selon Article 19, évaluer tout impact négatif sur le droit à la liberté d’expression.

 

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