La formation au journalisme en Tunisie dans le besoin d’une réforme académique réelle

juillet 16, 2018 • Articles récents, Derniers articles, Ethique et Qualité, Formation en Journalisme, Journalisme spécialisé • by

Il semble difficile d’assurer un changement énorme dans les institutions médiatiques en Tunisie, si les écoles de formation au journalisme n’ont pas déjà changé leurs stratégies pédagogiques. Ceci a été confirmé par Michel Leroy dans sa dernière étude portant sur la formation au journalisme en Tunisie.

En réalité, cette étude ne s’est pas limitée au journalisme mais son champ a été élargi à la formation diplômante à la communication, aux filières connexes du multimédia et de l’audiovisuel et aux départements de langues offrant une spécialité en journalisme, en tenant compte des acteurs d’apprentissage des secteurs privés et publics.

Dans une première partie de cette étude, l’auteur a présenté de manière factuelle les principales parties prenantes de la formation diplômante au journalisme en Tunisie, entre un opérateur historique, l’Institut de Presse et des Sciences de l’information (IPSI), qui a de facto perdu son monopole et ce qu’il est convenu d’appeler un « vrai-faux univers de concurrence ».

Dans une autre partie, l’auteur a mis l’accent sur la capacité institutionnelle, la viabilité, la stratégie et le potentiel des formations diplômantes offertes par les institutions privées et publiques, et ce, à travers l’examen des trois secousses qu’elles ont dû encaisser, à des degrés divers :

**L’écosystème de l’enseignement supérieur tunisien ;

**Le processus de Bologne se manifestant à travers le système « LMD », qui n’a pas seulement transformé radicalement les grades ;

**La transition démocratique issue des événements de 2011 et aux velléités de « restauration autoritaire».

Dans une dernière partie intitulée « le défi de l’introuvable professionnalisation» , Michel Leroy a évalué le degré d’adéquation des formations aux besoins actuels et prospectifs des médias en analysant les interactions avec la profession.

Certaines pistes de réformes possibles ont été ainsi proposées, à savoir :

**Doter les institutions formant les futurs journalistes d’une stratégie explicite, basée sur des objectifs de compétences à transmettre et non exclusivement sur des moyens disponibles ;

**Développer des outils d’évaluation, afin de permettre de suivre les cohortes formées et leur insertion dans le monde professionnel ;

**Redynamiser une recherche appliquée sur les métiers du journalisme et sur les besoins prospectifs du secteur.

Les vingt-cinq pistes de réflexion pour une meilleure formation en journalisme

A l’issue de cette étude, 25 pistes de réflexion ont été tirées pour une meilleure formation en journalisme, dont la majorité de ces pistes concerne l’IPSI en tant que la seule institution publique qui forme au métier du journalisme, à savoir :

1-En tant qu’une institution publique, l’IPSI est appelé à lancer un mastère majoritairement ouvert à toutes les filières, pour attirer les meilleurs profils formés par d’autres universités du pays.

2-Diversifier les épreuves du concours d’entrée et ce, en incluant un oral destiné à valoriser la démarche professionnelle des candidats.

3-Mise en place d’une filière en horaires aménagés (cours du soir ou de fin de semaine), de la part des centres de formation au journalisme diplômants.

4-Accorder une dimension sociale aux associations des anciens des établissements d’enseignement supérieur proposant des formations aux métiers des médias tel que l’Amicale de l’IPSI, en collectant des fonds parmi leurs membres pour mettre en place des aides exceptionnelles au profit des étudiants méritants afin qu’ils puissent poursuivre leur) scolarité à Tunis.

5-Les centres de formation au journalisme diplômants devraient veiller à renforcer les capacités pédagogiques de leurs enseignants sur des contenus techniques ou innovants, sur le modèle des formations de formateurs initiées pour les journalistes professionnels.

6-Assurer la circulation des enseignants d’un centre ou d’une faculté à l’autre au sein de la même université, ce qui permettrait de s’ouvrir sur de nouvelles compétences et d’irriguer d’autres secteurs avec l’expertise des sciences de l’information et de la communication.

7-A l’heure de l’ouverture de l’université à son environnement économique, de nouvelles méthodologies devront être mobilisées (cours en co-construction, incubation de projet, etc.) ainsi qu’une évaluation régulière de la pédagogie impliquant les apprenants

8-Conformément aux recommandations de l’INRIC et à la politique engagée depuis quelques années, il convient de poursuivre la réduction du nombre d’admis à l’IPSI.

9-Au niveau licence comme au niveau mastère, l’IPSI gagnerait à simplifier son offre avec un diplôme unique au journalisme, afin d’éviter de disperser ses efforts et de se concentrer sur la réforme des contenus d’enseignement.

10-Le développement scientifique de l’IPSI en mettant en place laboratoire pluridisciplinaire, avec des règles définies, des fonctionnements démocratiques et transparents, qui favorisent la collaboration et l’émulation, et en relançant sa revue.

11-Un mastère en journalisme devrait être ouvert à la fois à l’investigation, à l’audiovisuel et au multimédia, pour profiter des bonnes pratiques initiées ces dernières années en la matière.

12-La mise en place de la fonction du « maître de stage » vu l’importance du stage en milieu professionnel dans les cursus académiques. Ceci doit renforcer la préparation et l’encadrement de ce moment fort de la vie de l’étudiant, afin de préparer au mieux son entrée dans la vie professionnelle.

13-Récréation du « conseil scientifique » afin de renforcer les liens de l’IPSI avec le milieu professionnel.

14-Afin de permettre une réelle capitalisation, les réunions de concertation pédagogiques devraient faire l’objet d’un compte-rendu qui puisse être partagé et discuté.

15-Les établissements d’enseignement supérieur proposant des formations aux métiers des médias devraient profiter des opportunités d’innovation pédagogique proposées par les parcours co-construits.

16-Solliciter des commissions nationales sectorielles mixtes de la part des les établissements d’enseignement supérieur proposant des formations aux métiers des médias, pour l’homologation de leurs parcours de formation.

17-Mettre en place un Centre de carrières et de certification des compétences (4C) chargé de mettre en contact les employeurs avec les étudiants et les diplômés.

18-Tout travail de reconstruction suppose un indispensable inventaire du passé. L’anniversaire de l’IPSI présente une opportunité de procéder à cet exercice de manière dépassionnée, participative et plurielle, afin d’éviter la résurgence de crises douloureuses.

19-Les grands opérateurs tunisiens de formation, qui dépendent de l’aide internationale pour leur rééquipement, devraient au préalable définir un document d’orientations stratégiques qui facilite le travail aux bailleurs des fonds.

20-Reconfiguration des acteurs chargés d’octroyer la carte d’identité professionnelle, pour une étude meilleure des profils et notamment ceux des nouveaux titulaires de cette carte.

21-Sur les questions d’actualité qui touchent le secteur, l’IPSI pourrait inviter les praticiens à une conférence annuelle portant sur « les nouvelles pratiques du journalisme ».

22-La tenue d’états généraux ouverts à l’ensemble du secteur, formations diplômantes et certifiantes incluses, afin de déterminer la meilleure « trajectoire de ré-enchantement», que ce soit un état des lieux des métiers (sous la forme d’une cartographie nationale des journalistes) ou une étude des trajectoires des anciens étudiants ou une étude sur les besoins des médias.

23-Les écoles de journalisme devraient établir, en plus du curriculum général qui correspond pour l’essentiel aux standards du secteur, la liste exhaustive des cours que ces compétences supposent.

24-La collaboration académique et professionnelle doit se développer que ce soit à travers l’atelier de production ou l’encadrement des mémoires.

25-La formation des professionnels adéquats pour un changement réel dans les établissements médiatiques.

Notons que cette « recherche-étude sur la formation au journalisme en Tunisie » a été produite dans le cadre du programme d’appui aux médias tunisiens (Pamt-Media Up) financé par l’Union européenne, dont l’objectif principal est de « renforcer le secteur des médias professionnels en Tunisie et garantir la diffusion d’une information indépendante et plurielle garante de la liberté d’expression » notamment à travers des activités bénéficiant de mise à disposition d’expertise.

Remarque: Pour consulter cette étude, veuillez cliquer sur ce lien 

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