Le 3ème rapport WTR de l’UNESCO : Ambitions et limites

juillet 21, 2018 • Articles récents, Derniers articles, Economie des médias, Économie des Médias, Ethique et Qualité, Liberté de presse et censure, Media et Politique, Media et Politique, Modèles économiques • by

Le rapport de l’UNESCO « Les  tendances mondiales en matière de liberté d’expression et de développement des médias » (world tendance report) vient d’être publié.

Ce document de 200 pages est censé identifier et décrypter  les mutations observées au cours des cinq dernières années. Grande ambition, qui s’avère, à la lecture du document, desservie par une modeste réalisation.

Rappelons qu’à l’occasion de la 36e session de la Conférence générale, en novembre 2011, les États membres ont chargé l’UNESCO d’examiner les incidences des mutations induites par la révolution digitale sur la liberté de la presse et la sécurité des journalistes. Le rapport qui en a résulté en 2014 a adopté les quatre thèmes de la Déclaration de Windhoek de 1991, à savoir : La liberté des médias, le pluralisme des médias, l’indépendance des médias et la sécurité des journalistes. Le critère de l’égalité des genres a été retenu comme thématique transversale.

La présente réflexion critique inspirée du rapport de 2018 s’admet volontiers modeste, elle aussi, l’intention n’étant pas de réaliser une analyse de contenu approfondie, mais d’adresser quelques remarques et questionnements qui, je l’espère, témoigneront de l’intérêt porté par l’auteur à ce  document de référence.

Nos observations porteront sur la présentation matérielle du rapport, avant d’esquisser quelques réflexions sur ses auteurs et enfin sur la pertinence du cadre conceptuel de la conférence de Windhoek de 1991.

Par habitude académique, commençons par les remarques de forme, à partir de la copie en langue française du rapport, offerte par l’UNESCO lors de la présentation du rapport le 26 juin dernierà Tunis.Ces remarquent se limiteront à pointer les erreurs et inexactitudes matérielles, l’infographiste ayant pris quelques libertés avec la précision, de rigueur pour ce genre de documents, exemples :

**La période inscrite en page de couverture est inexacte, il est indiqué « Rapport mondial 2017-2018 » alors que la période couverte par le rapport est 2012-2017, comme le confirme l’avant-propos signé de la directrice générale de l’UNESCO, Audrey Azoulay.

**Crédit photos : les pages indiquées en page 2 de couverture pour les photos sont toutes fausses, sans exception.

**En page 30, le lecteur est gratifié de deux titres pour le moins antinomiques : « Introduction » (titre de rubrique) et « conclusion ».

Rendons hommage, cependant, à la bonne qualité graphique du document, qui alterne avec bonheur le texte, l’image et la visualisation graphique des données et qui est, au final, agréable à lire.

S’agissant des auteurs du rapport, présentés dans la rubrique « Equipe éditoriale », on est frappé par la prédominance des chercheurs des pays du « Nord », dont proviennent 9 sur un total de 14 experts. Les Etats-Unis ont beau avoir quitté l’UNESCO et privé celle-ci de leur importante contribution financière, ils demeurent fort bien représentés, avec pas moins de 5 chercheurs sur les 9 provenant du Nord. Quant à l’Afrique, elle est représentée par 3 chercheurs qui sont bizarrement tous  Sud-Africains. La région Arabe n’est pas représentée au niveau des chercheurs, mais un égyptien figure dans le conseil éditorial consultatif, composé de 20 membres.

Pour un rapport qui se veut « mondial », on est en droit de s’attendre à davantage d’équilibre entre les pays d’origine des auteurs. Une régression regrettable, car le « Groupe Consultatif » ayant contribué à la rédaction du Rapport de 2014 était à cet égard bien plus représentatif.

Par ailleurs, contrairement au rapport  précédent de 2014, dont le contenu est entièrement assumé par l’UNESCO, celle-ci se dissocie prudemment de celui de 2018, en avertissant le lecteur dès la page 2 de couverture que « les idées et les opinions exprimées dans cet ouvrage sont celles des auteurs, elles ne reflètent pas nécessairement les points de vue de l’UNESCO … »

Déclaration de Windhoek : actuelle ou désuète?

La dernière édition du Rapport WTR continue à être fidèle au cadre défini par la Déclaration de Windhoek de mai 1991 qui a identifié les quatre piliers qui fondent la liberté de la presse, à savoir : la liberté, le pluralisme, l’indépendance et la sécurité des journalistes.

En d’autres termes, les experts désignés par l’UNESCO continuent à considérer comme valide une typologie élaborée avant l’ère de l’Internet et dont la pertinence n’est plus si évidente aujourd’hui. En effet, au cours des deux dernières décennies, Internet, le Web et les plateformes des réseaux socio-numériques ont introduit des bouleversements majeurs dans nos modes d’accès aux données, de production et de réception des informations et des données.

Alors que de nouvelles grilles d’analyse adaptées au nouvel environnement digital sont à l’œuvre, l’UNESCO continue à s’accroche par orthodoxie à la plateforme de Windhoek, qui remonte à 1991, soit avant l’avènement de l’univers numérique interconnecté via Internet ?

Certes, les valeurs philosophiques de la Déclaration de Windhoek sont loin d’être obsolètes, comme ne le sont pas ceux de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948. Mais les éléments constitutifs des libertés d’expression et de presse d’aujourd’hui ne sont plus tout à fait ceux de 1991. En matière de liberté d’expression et de presse, les émergences du monde numérique post-Windhoek sont nombreuses.

D’abord, au niveau de la définition de la liberté de la presse et de celle du journalisme, le rapport de l’UNESCO continue à les considérer comme des extensions dérivées d’un droit plus fondamental, celui de la liberté d’expression. Ceci alors qu’un changement de paradigme est survenu au cours des deux dernières décennies : désormais, c’est le droit du public à l’information qui constitue le cœur des missions dévolues à la presse. Dans la foulée, le droit d’accès à l’information a été promu par les Nations-Unies comme un nouveau droit de l’Homme, grâce notamment aux travaux de l’UNESCO.

Ensuite, la presse, dans son acception classique, est en train de perdre chaque jour davantage son monopole d’outil d’information et d’expression, au profit des nouveaux médias socio-numériques et de « l’expression citoyenne directe » sur ces réseaux. Le Rapport (WTR) de 2014 de l’UNESCO continue cependant à considérer que « le journalisme constitue un exercice public de la liberté d’expression conformément à des normes professionnelles ». Définition quoi fait peu de place au journalisme en tant que devoir d’informer au service du droit à l’information du citoyen.

Certes, le Comité des droits de l’homme des Nations unies a déjà pris acte de cette mutation et défini depuis 2011 le journalisme comme « une fonction exercée par des personnes de tous horizons, notamment […] des blogueurs et autres particuliers qui publient eux-mêmes le produit de leur travail, sous forme imprimée, sur l’Internet ou d’autre manière… » . Mais on conviendra que le journalisme continue à être considéré dans sa dimension professionnelle classique et que les nouveaux acteurs du journalisme citoyen sont davantage perçus par les organisations de journalistes comme des intrus, voire des imposteurs, que comme des alliés ou renforts. La Fédération Internationales des Journalistes (FIJ) n’accorde d’ailleurs la carte de presse internationale qu’aux journalistes dûment affiliés à leur organisation syndicale nationale.

Au terme de ces questionnements inspirés du WTR 2018 de l’UNESCO, le lecteur peut relever l’absence de quelques dimensions actuelles liées à l’exercice des libertés d’expression et de presse. Parmi elles, l’absence du droit d’accès à l’information en tant que composante autonome et non comme simple élément de la liberté des médias. Il aurait également été utile de développer davantage les thématiques de la déontologie, de la responsabilité sociale des médias, de l’éducation à l’information et aux médias, à l’heure où deux ou trois plateformes de médias sociaux ont conquis  une influence démesurée sans  perspective de régulation efficace.

L’heure n’est-elle pas venue d’opérer quelques ruptures avec le cadre conceptuel de Déclaration de Windhoek ?   Rappelons que cette déclaration avait en son temps opéré une rupture avec le Nouvel ordre mondial de l’information et de la communication (NOMIC) prôné par l’Union soviétique et ses alliés du bloc socialiste et des pays du Tiers-Monde.

Tenue en 1991, au lendemain de la chute du Mur de Berlin et des « démocraties populaires » de l’Europe de l’Est, la conférence de Windhoek était une consécration du triomphe de la « démocratie libérale » et même de « la fin de l’Histoire » chère à Huntington. En 2018, les nouveaux défis de la globalisation et de la numérisation des réseaux nous somment de revoir en profondeur les « 4 piliers » de la liberté d’expression et de presse établis en 1991. C’est à l’UNESCO de le faire, conformément au mandat qui lui a été confié par les Nations-Unies.

 

Lire aussi : UNESCO : Les tendances mondiales en matière de liberté, de pluralisme, d’indépendance des médias et de sécurité des journalistes

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