Mener un reportage au Moyen-Orient : Trois choses que les journalistes devraient savoir

mars 18, 2019 • Articles récents, Derniers articles, Les infos du numérique, Liberté de presse et censure, Media et Politique, Media et Politique • by

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Etre  journaliste au Moyen-Orient, c’est être confronté à de nombreux défis.

L’absence des libertés de presse d’expression dans la région du Moyen-Orient est un problème majeur, tant pour les journalistes que pour le public des médias.

Ceci affecte même la conversation dans des espaces plus contrôlés, tels que des groupes WhatsApp fermés et des applications chiffrées comme Telegram. Cela aboutit également à l’autocensure, en raison de préoccupations liées à la protection de la vie privée et à ce que l’on peut dire sans être exposé à un danger dans le domaine public. Le fait que les médias sociaux soient souvent interdits ou bloqués en période de bouleversement s’ajoute à cette prudence en ligne.

Cependant, comme le montre notre nouveau rapport «État des médias sociaux au Moyen-Orient en 2018», la croissance de l’usage des médias sociaux au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (MENA) se poursuit sans relâche.

Que doivent faire les journalistes dans ce paysage compliqué? Voici trois conseils :

  1. Soyez conscient de l’environnement

Comme l’a récemment noté le Centre Brookings Institute basé à Doha, au Qatar : «La question de la liberté des médias revêt un caractère particulier au Moyen-Orient. Dans le monde entier, le Moyen-Orient est la région la plus dangereuse pour les journalistes. Non seulement les journalistes, mais également les médias eux-mêmes sont maintenant menacés de manière existentielle ».

Reporters Sans Frontières (RSF) a souligné ce phénomène dans son indice mondial de la liberté de presse 2018, classant un certain nombre de pays du Moyen-Orient au bas de leur liste.

La mort et la détention de journalistes dans des pays tels que la Syrie et le Yémen suscitent l’inquiétude, de même que l’hostilité croissante à l’égard des journalistes en Égypte.

En 2018, le Gouvernement égyptien a adopté une législation limitant les lieux où les journalistes peuvent exercer leurs activités et obligeant les sites web des nouveaux médias à demander une licence. Il a également classé les comptes de médias sociaux comptant plus de 5 000 abonnés dans les médias, les exposant ainsi au contrôle exercé par les autorités.

Les journalistes chevronnés eux-même s’en ressentent en Egypte. Le correspondant du journal américain« New York Times » et ancien chef du bureau du Caire, David D. Kirkpatrick, a récemment été arrêté par des agents de la sécurité et expulsé du pays sans aucune explication.

  1. Opportunités sur les médias sociaux en tant que source

Malgré ce contexte répressif et l’autocensure à laquelle recourent souvent les utilisateurs d’Internet et des médias sociaux, les médias sociaux restent un boulevard pour les histoires et les sources.

Andy Carvin, de NPR, en a démontré le potentiel lors du « Printemps Arabe ». Plus récemment, des médias régionaux tels qu’Al Jazeera, ont exploité les médias sociaux comme source d’informations, tel que le reportage sur le mouvement #BringDevBack lancé par des Yéménites qui cherchent à reconstruire leur pays.

Comme avec n’importe quelle source, le contenu trouvé sur les médias sociaux doit être traité avec prudence. Cela est particulièrement important compte tenu de la militarisation croissante du cyberespace (un trait qui n’est pas propre à la région MENA) pour promouvoir les programmes politiques.

Après la disparition et l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, une enquête menée par NBC a montré comment des comptes Twitter – appartenant à des personnes réelles et à des bots – promouvaient les dénégations du gouvernement saoudien.

D’autre part, l’analyse de Reuters a révélé un réseau d’au moins 53 sites web qui, « se présentant comme d’authentiques organes de presse en langue arabe, ont diffusé de fausses informations sur le gouvernement saoudien et le meurtre de Khashoggi ». Ces histoires ont également été amplifiées par des robots de Twitter.

Cette tendance est également visible dans la conversation en ligne sur le Qatar voisin. En mai 2018, 29% des tweets en arabe sur le Qatar – un pays en conflit avec plusieurs de ses voisins du Golfe – ont été tweetés par des robots. Cela représente une hausse de 17% par rapport à l’année précédente.

  1. Les médias sociaux en tant que des plateformes de diffusion et d’engagement

Les journalistes doivent être conscients de ce contexte plus large, mais cela ne doit pas les dissuader d’utiliser les médias sociaux. Ces derniers ne sont pas seulement des canaux importants pour les sources, ils sont également des plates-formes essentielles pour la distribution de contenu et l’engagement avec le public.

La croissance de Facebook, par exemple, est l’une de ces opportunités. Au début de 2018, il y avait 164 millions d’utilisateurs mensuels actifs de Facebook dans le monde arabe, contre 56 millions cinq ans plus tôt.

Près de la moitié des jeunes Arabes (49%) déclarent recevoir quotidiennement leur actualité sur Facebook, contre 35% en 2017, et près des deux tiers (63%) des jeunes Arabes déclarent désormais se tourner d’abord vers Facebook et Twitter pour obtenir des informations.

Au même temps, l’Arabie Saoudite a non seulement le taux de croissance annuel le plus élevé d’utilisateurs de médias sociaux au monde (en hausse de 32% par rapport à une moyenne mondiale de 13% entre janvier 2017 et janvier 2018), mais un tiers de la population de ce pays utilise chaque jour Snapchat.

Il n’est donc pas surprenant que le réseau éphémère s’associe à divers fournisseurs de contenu locaux, qui repensent leur matériel pour la plate-forme.

Les médias sociaux au Moyen-Orient constituent un espace complexe et en pleine mutation. Se tenir au courant de l’évolution de ce paysage est donc essentiel pour les journalistes s’ils veulent comprendre et exploiter pleinement le potentiel des médias sociaux dans la région.

 

Pour en savoir plus, téléchargez l’étude complète «État des médias sociaux au Moyen-Orient en 2018» de Damian Radcliffe et Payton Bruni, chercheurs à l’Université de Oregon, ou consultez-la en ligne via Scribd, SlideShare, ResearchGate et Academia. Edu.

Remarque :cette article a été publié en premier lieu sur le site anglophone de l’Observatoire Européen du Journalisme et traduit par Nouha Belaid.

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